samedi 20 avril 2019

Remise du Trophée au vainqueur, Balthazar Tropp

C'est sous un soleil radieux que nous avons eu le plaisir de donner à Balthazar Tropp,
 le Trophée Anonym'us les mots sans les noms 2019 et de partager ensemble un verre et un agréable repas.

Avec un roman en projet, nous espérons avoir l'occasion de croiser à nouveau sa plume ! 





                            



dimanche 31 mars 2019

Trophée 2019 - Le podium

Trophée Anonym'us, les mots sans les noms 2019
Buste en argile - Pièce unique façonnée par Eric Maravelias



Enfin les résultats du Trophée 2019 !

Après une aventure qui vous tient en haleine depuis septembre à raison d'une nouvelle et d'une interview chaque semaine, une aventure relayée par de nombreux blogs qui, sans faiblir, ont eux aussi partagé les nouvelles des 22 auteurs de la Team  vous allez enfin découvrir le podium 2018.

Nous remercions plus particulièrement les blogs Les livres d'ElieLila sur sa terrasse, le site de Jean Marcel, celui de Libres Ecritures, qui nous accompagnent depuis plusieurs années, voire, pour quelques uns d'entre-eux, depuis le début de cette aventure il y a maintenant cinq ans. Grâce à Dominique Terrier (Alias Jean Marcel ou vice-versa) les recueils des nouvelles publiées tout au long des cinq années de ce trophée sont également présents sur le site Atramenta sur la page dédiée au trophée  qu'il en soit vivement remercié.

Nous remercions aussi chaleureusement les 21 auteurs qui ont osé se frotter à l'art difficile de la nouvelle et soumettre aux membres du jury cette dernière de façon anonyme. Merci à eux d'avoir joué le jeu. Cette année encore, nous avons été heureux de découvrir des nouvelles d'une grande diversité et d'une grande richesse que le jury a eu bien du mal à départager.

Enfin ce Trophée ne serait rien sans l'enthousiasme du jury, que nous remercions pour la qualité des échanges, même s'ils furent râpeux, parfois... et la bonne humeur communicative tout au long du Trophée. 





Pour cette cinquième édition du Trophée
 le gagnant est ...

Balthazar Tropp
avec la nouvelle Autoportrait

Pour mieux connaitre l'auteur petit retour 




A la seconde place 


Katia Campagne
avec la nouvelle Quand la terre mourra

Pour mieux connaitre l'auteur petit retour 

A la troisième place 

Nick Gardel
Avec la nouvelle Il faut bien se nourrir

Pour mieux connaitre l'auteur petit retour sur son Interview 



Enfin, en quatrième et  cinquième places mais quasi ex aequo... 



Encore un grand merci à tous !




samedi 30 mars 2019

Trophée Anonym'us, les mots sans les noms ! La Solution du KiaEkriKoi


vendredi 29 mars 2019

5e Trophée Anonym'us, les mots sans les noms... KiaEkriKoi ?




jeudi 28 mars 2019

Vendredi 29 Mars 2019, le KiaEkriKoi, petit jeu d'indices vidéo pour tenter de retrouver ... Qui a écrit Quoi...

Samedi 30 mars, les réponses à cette épineuse question

Dimanche 31 mars, vous connaîtrez enfin les cinq nouvelles sélectionnées par le jury et parmi elles, celle qui se sera hissée à la première place.

mercredi 6 mars 2019

L'interview de la semaine : Solène Bakowski


Cette année, ce sont les auteurs eux-mêmes qui ont concocté les questions de l’interview, celles qui leur trottent dans la tête, celles qu’on ne leur pose jamais, ou tout simplement celles qu’ils aimeraient poser aux autres auteurs.



Aujourd’hui l’interview de Solène Bakowski





1. Certains auteurs du noir et du Polar ont parfois des comportements borderline en salon. Faites-vous partie de ceux qui endossent le rôle de leurs héros ou protagonistes pendant l'écriture, histoire d'être le plus réaliste possible ?
Bande de psychopathes !
J'essaie de me mettre en condition, mais juste dans ma tête. Pas de rituel sanglant, pas de maléfice, c'est promis. Rien qu'un peu d'imagination ;)
2. Douglas Adams est promoteur de 42 comme réponse à la vie, l’univers et le reste. Et vous quelle est votre réponse définitive ?
Aucune réponse définitive. Ce qui est définitif est mort alors que la vie est mouvement. Du coup, je ne suis pas à l'abri de changer d'avis cinquante fois dans les cinq prochaines minutes.
3. Y a-t-il un personnage que vous avez découvert au cours de votre vie de lecteur et avec lequel vous auriez aimé passer une soirée ?
Dorian Gray (du roman Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde). Il me fascine !
4. Si tu devais avoir un super pouvoir ce serait lequel et pourquoi?
Celui de me télétransporter, pour pouvoir être là où j'en ai envie au moment où je le souhaite.
5. Est-ce que tu continuerais à écrire si tu n'avais plus aucun lecteur ? (même pas ta mère)
Oui, sans aucune hésitation. J'écris d'abord pour moi, parce que ça me procure un plaisir fou.

6. Quel a été l'élément déclencheur de ton désir d'écrire ? Est-ce un lieu, une personne, un événement ou autre ?
Je ne me souviens de rien de précis. Je crois que le désir d'écrire a émergé à la suite de plusieurs petits événements, de minuscules traumatismes qui m'ont rendue muette sur le moment mais que j'avais besoin de mettre en mots pour en chercher le sens. Chez moi, l'écriture est née d'une incompétence à m'exprimer correctement à l'oral.
7. Est-ce que le carmin du sang de ses propres cicatrices déteint toujours un peu dans l'encre bleue de l'écriture ?
Pour peu qu'on écrive avec honnêteté et pour les bonnes raisons, je crois que oui.
8. Penses tu qu'autant de livres seraient publiés si la signature était interdite ? Et toi, si comme pour le trophée Anonym'us, il fallait publier des livres sous couvert d'anonymat, en écrirais-tu ?
J'écris parce que j'aime écrire. Je ne cours pas après la notoriété et je me fiche bien qu'on connaisse mon nom. J'espère que c'est le cas de la plupart des auteurs.
9. Pourquoi avoir choisi le noir dans un monde déjà pas rose ?
C'est indépendant de ma volonté... Les histoires qui me viennent naturellement sont toujours sombres, je ne sais pas pourquoi.
10. Quelles sont pour toi les conditions optimales pour écrire ?
Il faut avoir du temps et de la disponibilité d'esprit.
11. si vous deviez être ami avec un personnage de roman, lequel serait-ce?
Madame Bâ, magnifique personnage imaginé par Erik Orsenna dans le roman du même nom.
12. Quel est ton taux de déchet (nombre de mots finalement gardés / nombre de mots écrits au total ) ? Si tu pouvais avoir accès aux brouillons/travaux préparatoires d’une œuvre, laquelle serait-ce ?
Je ne sais pas, ça dépend, je dirais que je supprime entre 10 et 20% de ce que j'ai écrit. Parfois plus, parfois moins, je n'ai pas de règle.
Les premiers romans de Stephen King et Au-revoir là-haut de Pierre Lemaître.

dimanche 3 mars 2019

Nouvelle 21 - Faute Grave

➤ Télécharger en pdf

➤ Télécharger en epub



Julia ne comprenait pas pourquoi elle devait s’obliger à revivre cette scène, encore et encore. Cette technique ne fonctionnait pas. Elle ne cessait de le dire. Loin de calmer ses angoisses, cela ne faisait qu’augmenter son sentiment de culpabilité. À quoi bon lui rappeler qu’elle était la seule à s’être sortie indemne de ce massacre ? Comment ce médecin pouvait-il croire que ça l’aiderait à surmonter ce traumatisme qui l’empêchait de reprendre sa vie en main ?
Depuis un an, Julia appréhendait ses nuits encore plus que ses journées. Éveillée, elle pouvait contrôler sa pensée, mais, lorsque les lumières de sa chambre s’éteignaient, elle savait que des fantômes attendaient patiemment dans un coin de la pièce pour venir la hanter. Les premiers temps, elle avait accepté les somnifères qu’on lui donnait sans rechigner, espérant que ce sommeil artificiel lui offrirait quelques heures de répit. Le constat fut sans appel. Aucune chimie ne pourrait effacer ses souvenirs.
Ce sang… Ces corps… Comment oublier ? Julia n’était de toute façon pas sûre d’en avoir le droit. Son quotidien était peut-être devenu un enfer depuis ce funeste jour, mais elle était encore en vie. Elle le regrettait parfois, souvent même, mais elle était là, et sa seule présence en ces murs était en soi un privilège. Oublier aurait été un manque de respect à l’égard de ses collègues, de ces hommes et de ces femmes qu’elle fréquentait depuis presque dix ans.

Une soupe aux lentilles. Voilà ce qui l’avait sauvée. Une simple soupe qu’elle avait préféré consommer au comptoir de ce petit commerce. C’était une première. Julia ne se mêlait d’ordinaire pas à la foule. Elle aimait la solitude, le bruit feutré de son bureau. Déjeuner entourée d’inconnus ne lui ressemblait pas. C’est pourtant ce qu’elle avait fait ce jour-là. Ce vendredi noir comme elle l’appelait désormais.
Dès lors, comment ne pas s’interroger sur le destin ? Ce karma dont elle avait entendu parler sans que cela ne lui évoque quoi que ce soit. Ce n’était pas son heure, diraient certains. Peut-être. Sûrement même, puisqu’elle était là pour en témoigner. Admettre cette théorie lui posait cependant un problème. Cela revenait à accepter que c’était en revanche le moment opportun pour ceux qui n’avaient pas survécu. Gilbert, ce comptable à six mois de la retraite, qui ne cessait de parler de ses projets. Noémie, cette jeune femme de trente-trois ans, qui était contente d’avoir trouvé une nounou pour ses enfants de deux et cinq ans. Ces hommes et ces femmes n’étaient pas ses amis. Elle n’aurait certainement pas participé à leur pot de départ et n’aurait jamais pris de leurs nouvelles s’ils avaient été remerciés. De là à accepter leur mort sans ciller…

Julia se souvenait parfaitement de l’état d’esprit dans lequel elle se trouvait quelques minutes encore avant le drame. Elle revenait de sa pause déjeuner, l’humeur légère. Il ne lui restait plus que quelques heures à travailler avant de pouvoir profiter de son week-end. Elle n’avait rien prévu de particulier, mais l’idée de pouvoir se détendre deux jours d’affilée, au calme dans son appartement, suffisait à embellir sa journée. Le livre qu’elle avait commencé l’attendait bien sagement sur sa table de chevet. Ses chats se loveraient sur ses cuisses tandis qu’elle vivrait mille aventures sans bouger de son canapé. C’est comme ça qu’elle aimait sa vie. Seule et sans danger. Sans concession ni discussion. À quelques semaines de ses quarante ans, Julia aimait sa vie solitaire malgré les remontrances à peine voilées de sa mère qui la poussait à se ranger. « Se ranger ». Une expression qu’elle vomissait. N’avait-elle pas plus de valeur qu’un plaid qu’on met au placard quand arrive l’été ? De toute façon, à force de refuser les invitations de ses collègues, les sollicitations s’étaient faites de plus en plus rares au fil des années, jusqu’à disparaître totalement, et cela lui convenait parfaitement. Julia donnait le change toute la semaine pour renvoyer l’image qu’on attendait d’elle : une femme discrète, mais avenante, aimable et performante. Une personne dévouée qui savait se faire oublier. En d’autres termes, une employée modèle. Le samedi et le dimanche étaient donc sacrés. Ils n’appartenaient qu’à elle. Personne ne pouvait les lui voler. C’est à ces heures futures que Julia pensait en entrant dans les locaux de cette petite imprimerie de quartier.
Le reste de ses souvenirs étaient flous et certainement déformés. Elle entendait encore résonner un glas au loin. Le médecin évoquait pour sa part une allégorie. Une représentation de son macabre décompte. Douze sons de cloche pour douze cadavres.
Gilbert, Noémie, Arthur, Solène, Vincent, Jacques, Patrick, Laurent, Béatrice, Bertrand, Sophie et Denis. Huit hommes et quatre femmes. Ce manque de parité semblait dérisoire aujourd’hui. Tous ses collègues étaient morts, sans exception. La lame du couteau n’avait fait aucune distinction de genre.
Non, définitivement, Julia ne voulait pas se revivre cette scène et ce médecin ne pourrait pas l’y obliger.

*


Ce que vous me dites, c’est qu’il n’y a toujours pas de progrès, c’est bien ça ?
Pas dans le sens où vous l’entendez, mais Julia va mieux, c’est indéniable.
Mieux ? J’espère que vous plaisantez !
Le traitement que nous lui prescrivons répond parfaitement à nos attentes. Son humeur est stabilisée et je peux vous assurer qu’elle ne représente plus aucun danger pour elle ou pour autrui.
Désolé, mais il va m’en falloir un peu plus. Que je sache, elle est toujours dans le déni !
Et elle le restera peut-être toute sa vie, vous devez vous y préparer. Cela ne veut pas dire qu’elle recommencera. Et puis je suis obligé de tempérer vos propos. Même si Julia n’a pas encore pris conscience de ses actes, elle a récemment admis avoir une part de responsabilité dans ce qui s’est passé. De manière détournée, je l’admets, mais c’est un début.
Vous vous parlez de cette histoire de film ?
Que Julia ait reconnu avoir ressassé ce scénario des dizaines de fois est une petite victoire en soi !
Une victoire… Une échappatoire, oui ! Un leurre ! Elle vous mène par le bout du nez, voilà ce que je pense !
Sauf que c’est mon avis qui compte dans ces murs et je ne partage pas votre point de vue. Julia est persuadée d’avoir influé sur le cours du destin. De manière involontaire, bien sûr, mais elle ressent une certaine culpabilité. N’est-ce pas ce que vous attendez de sa part ? Le début d’un remords ?
Ne jouez pas sur les mots avec moi, docteur ! Je ne suis pas un de vos patients que vous pouvez embobiner avec des images ou autres métaphores. Julia ne regrette rien pour la simple et bonne raison qu’elle refuse de voir la vérité en face. Ce film dont elle vous a parlé, je l’ai visionné, figurez-vous !
Et qu’en avez-vous déduit ?
Que Julia se moque de nous dans les grandes largeurs ! Cette scène dont elle ne cesse de vous parler n’a rien avoir avec celle que j’ai découverte ce jour-là. Vous n’y étiez pas, moi si, et croyez-moi quand je vous dis que je ne suis pas près de l’oublier.
Vous avez raison, je n’y étais pas, cela ne veut pas dire que je ne prends pas cette affaire au sérieux. Vous ne voyez pas le rapport avec ce film car vous ne cherchez pas à comprendre ce qu’il s’est passé dans la tête de Julia au moment des faits. Vous voulez une explication rationnelle, un élément concret qui vous permette d’accepter une vérité qui vous dérange. Malheureusement, dans mon domaine, il n’est pas rare que certaines questions restent sans réponse. On peut supposer, présumer et parfois même concevoir une certaine logique, même si celle-ci nécessite de faire abstraction de sa propre raison.
Très bien, alors expliquez-moi ce que je ne conçois pas !

Le lien était facile à démontrer, mais le médecin savait qu’il s’adressait à une oreille réfractaire. L’homme qui lui faisait face était de toute évidence en colère. Il ne cherchait pas une explication, mais une justice. Un signe qui lui prouverait que cet acte ne resterait pas impuni. Ce que le patricien dirait n’y changerait rien. Ce dernier le savait, pourtant il se plia à l’exercice sans se faire prier.
La vie de Julia avait basculé dix-huit mois plus tôt. Il n’avait fallu qu’un simple grain de sable dans son train-train quotidien pour que tout son monde s’écroule.
Une grippe contractée au contact d’un de ses collègues. Une grippe mal soignée qui l’avait mise hors-jeu un temps. Voilà ce qui avait ruiné la vie de cette femme. Elle y croyait dur comme fer, en tout cas. Julia s’était toujours targuée de ne jamais poser un jour de congé. Elle ne prenait même pas les cinq semaines qu’elle cotisait dans l’année. Dévouée à son travail, Julia était persuadée d’être un élément indispensable à son patron, c’est pourquoi elle n’avait pas été étonnée d’être remplacée le temps de ses trois semaines d’arrêt-maladie. Le travail qu’elle abattait chaque jour ne pouvait attendre. Julia avait d’ailleurs tenu à vérifier chaque soir auprès de l’intérim qu’aucun retard n’était accumulé. Pour Julia, il ne faisait aucun doute que cette jeune femme ne pourrait pas faire illusion bien longtemps.
Quand son patron lui avait annoncé à son retour que cette petite pimbêche — seul prénom que Julia consentait à lui donner — allait rester dans l’équipe, Julia ne s’était tout d’abord pas inquiétée. Au contraire, elle y a vu une certaine reconnaissance de la part de son supérieur. Il paraissait évident que Julia méritait d’être assistée dans son travail.
Ce n’est qu’au bout de quelques semaines que Julia comprit que sa propre présence au sein de l’entreprise n’était plus si appréciée. Les remontrances devenaient quotidiennes, pour un oui ou pour un non. Elle qui n’avait jamais commis la moindre erreur se voyait reprocher toutes sortes de peccadilles. Une faute de frappe dans un mémo interne, une conversation trop forte dans un couloir, ou encore un café trop corsé qu’elle préparait pour toute l’équipe chaque matin et dont elle n’avait pourtant jamais changé le dosage. Bref, chaque soir Julia quittait son poste avec un goût amer. Elle ne ressentait plus cette satisfaction du travail bien fait qui lui tenait tant à cœur.
Affectée par cette situation, Julia commença à perdre de son assurance. Elle avait la sensation que son supérieur lui attribuait des missions de plus en plus compliquées à réaliser. Prise de doute quant à ses capacités, Julia revenait sans cesse sur son travail au point d’accumuler du retard dans ses tâches quotidiennes, qu’elle gérait pourtant depuis dix ans presque les yeux fermés. Son tempérament avait changé, lui aussi. De plus en plus irascible envers ses collègues, notamment avec la fameuse « pimbêche » que tout le monde avait adoptée, Julia se retrouvait chaque jour un peu plus isolée. Seule Sophie, la maquettiste, passait encore une tête, de temps à autre, dans son bureau pour la saluer.
Quand son patron la convoqua pour un entretien, Julia se présenta à lui avec l’espoir d’une petite fille cherchant le réconfort et les encouragements d’un parent aimant. La veille, il l’avait surprise en train de pleurer devant son ordinateur. Il n’avait rien dit et s’était contenté de refermer la porte. Par pudeur, certainement. C’est en tout cas ce qu’avait pensé Julia sur l’instant. Elle respectait énormément ce chef d’entreprise, de quinze ans son aîné, qui prenait soin de ses employés sans jamais s’immiscer dans leur vie privée. Elle ne comprit pas tout de suite pourquoi Gilbert se tenait debout, à ses côtés. Julia ne voyait en lui que le comptable qui lui validait ses bons de commande et notes de frais, elle oubliait qu’il était également en charge des Relations Humaines de la société.
L’air accablé qui se lisait sur le visage des deux hommes laissait penser qu’un de leurs collègues venait de décéder. Julia dut relire trois fois la lettre que Gilbert lui avait tendue avant de comprendre de quoi il retournait.
« Faute grave ». Voilà les deux mots qui avaient changé le cours de la vie de cette employée qu’elle estimait modèle. Deux mots qu’elle n’aurait jamais cru lire ou entendre à son sujet. Bien sûr, l’erreur était avérée. Julia avait tardé pour envoyer le courrier en recommandé que lui avait transmis son patron, mais ce n’est pas elle qui l’avait rédigé. Cette mission avait été confiée à la « pimbêche », la nouvelle chouchoute attitrée ! C’est elle qui aurait dû être chargée de le poster. Elle encore, et son patron bien sûr, qui savait à quel point cette lettre ne pouvait attendre. Comment Julia aurait pu deviner que de la date de son envoi dépendait un gros contrat avec l’État ? Aujourd’hui, on lui reprochait un manque à gagner de cinquante mille euros pour la société. C’était injuste, Julia le savait et le cria d’ailleurs haut et fort, mais le combat était perdu d’avance. Un dossier à charge avait été constitué à son encontre. Tous les petits manquements qu’elle avait accumulés depuis plusieurs semaines avaient été consignés. Gilbert avait également noté ses retards répétitifs avec la précision d’une horloge suisse. Certes, ils n’excédaient jamais plus d’un quart d’heure, mais, mis bout à bout, ils devenaient pénalisants. Le DRH avait pris un air navré en lui donnant le coup de grâce. Dans la pochette qu’il tapotait du bout des doigts se trouvaient aussi des témoignages de ses collègues jurant sur l’honneur que Julia avait un comportement agressif qui nuisait à l’ambiance générale de la société.
Son patron n’avait même pas daigné la regarder dans les yeux. Il tapotait sur son téléphone portable quand Gilbert avait signifié à Julia qu’elle avait le droit de faire appel à un représentant pour défendre son dossier, mais qu’il allait dans l’intérêt de tous que ce licenciement se passe de manière apaisée. Julia avait essayé de réagir, d’argumenter chaque point qui lui était reproché, mais son patron lui avait coupé la parole en annonçant que l’entretien était terminé, les yeux toujours rivés sur son écran. Il n’avait ajouté qu’un point : elle était tenue d’effectuer sa période de préavis en télétravail afin d’éviter tout malaise.
Abasourdie, Julia était sortie rapidement de la pièce, incapable de retenir ses larmes plus longtemps.

Vous devez comprendre que ce travail représentait plus qu’un passe-temps ou un moyen de gagner sa vie, précisa le médecin. Il était la clé de voûte de Julia, son seul point d’ancrage avec la société.
Vous oubliez sa famille !
Pardonnez ma franchise, mais cela fait un an que je m’occupe de votre sœur et pas une fois elle ne m’a parlé de vous ou de vos parents. Et sans vouloir minimiser la responsabilité de Julia dans ce qui s’est passé, il est clair que de nombreux signes auraient dû vous alerter.
Quoi, parce que ma sœur avait du mal à encaisser son licenciement et qu’elle a été marquée par une scène de film, je devais m’attendre à ce qu’elle se prenne pour Robert Redford découvrant tous ses collègues massacrés en rentrant de sa pause déjeuner ? Votre raisonnement n’a aucun sens ! Dois-je vous rappeler que dans ce scénario, Redford n’est pas le coupable ? Julia, si !
Vous saviez que votre sœur nourrissait une haine démesurée envers ses anciens collègues.
Je pensais que ça lui passerait. Qu’elle nous ferait une mini-dépression comme à son habitude et qu’elle s’en remettrait ! Croyez-vous sincèrement que je ne serais pas intervenu si j’avais su ce qui se tramait dans sa tête ?
Ne vous avait-elle pas fait part de ses doutes ?
Quels doutes ?
D’avoir été la victime d’un complot. Que tous ses collaborateurs avaient une part de responsabilité dans son éviction.
Si, bien sûr ! Cette idée l’obsédait. Mais j’étais censé faire quoi ? Apporter du crédit à sa paranoïa ?
Vous comprenez que le monde parallèle qu’elle s’était créé ne pouvait pas être sans conséquence.
Qu’est-ce que vous cherchez à me dire, à la fin ? vociféra le frère. Que j’aurais dû deviner ce qui allait se passer ? Que j’aurais pu empêcher ce massacre ?
Le transfert qu’elle avait opéré n’a pas dû vous échapper, quand même.
– C’est facile à dire aujourd’hui, docteur, mais à l’époque je ne connaissais pas le prénom de ses collègues !
Noémie, Laurent, Sophie, Gilbert… Admettez que c’est peu commun.
Quoi donc ? Donner ces prénoms à douze chatons pour les égorger ensuite ?
Oui, par exemple.