dimanche 6 mars 2016

Interview d'un auteur : Nicolas Jaillet

LES QUESTIONS DU BOSS... 

1- Es-tu écrivain, romancier, auteur ? Vois-tu une nuance entre ces termes ? Qu'est-ce que ces mots représentent, pour toi ?

Je suis auteur. Un auteur est une personne qui gagne sa vie en écrivant des textes de fiction. C'est mon cas, majoritairement. Pour être plus exact, je devrais dire que je suis auteur adaptateur traducteur compositeur comédien éclairagiste metteur en scène, en considérant mes sources de revenu par ordre décroissant pour l'année fiscale passée.

J'aimerais dire que je suis romancier, mais mes romans ne sont pas ma première source de revenus (c'est un euphémisme) même s'ils représentent de loin l'activité qui me prend le plus de temps.
« Ecrivain » est un terme au sens flou que je n'emploie pratiquement jamais. J'en veux pour preuve les conversations nombreuses auxquelles j'ai assisté où les gens s'engueulent pour savoir si tel ou tel auteur est ou non un écrivain. Il ressort de ces conversations qu'un écrivain serait un degré supérieur de l'auteur. Un auteur touché par une grâce plus ou moins transcendante, sinon divine, qui restera dans l'Histoire. Or, s'il est une chose que l'Histoire nous enseigne, c'est bien que l'ensemble de la critique littéraire s'est systématiquement planté depuis trois mille ans, et présageant du fait qu'il n'y a pas de raison pour que ce phénomène s'arrête, miraculeusement, à partir de l'an 2000, je retiens mon jugement sur la question, et je m'abstiens d'employer ce terme à mon propre compte, par crainte du ridicule.
2- Ecrivain/Carrière. Ces deux mots sont-ils compatibles ? Y penses-tu ? Anticipes-tu cet éventuel avenir.
Chaque fois qu'on m'a parlé d'un projet littéraire ou autre en me disant « ça va marcher » j'ai assisté à un fiasco. Mieux je suis payé pour écrire, moins le projet marche. Je n'ai aucune ambition. J'écris pour gagner ma vie ; donc si on me propose une somme d'argent pour écrire un texte je le fais, du mieux que je peux, et parallèlement à ce métier, j'en fais un autre, qui consiste à écrire et publier des livres, et qui m'intéresse en tant qu'il est, fondamentalement, un mystère.
3- Combien de temps, de tentatives, de refus, avant de décrocher un contrat à compte d'éditeur ?
Je ne compte plus. J'ai publié une dizaine de livres à compte d'éditeur et, sauf erreur de ma part, je n'ai jamais fait perdre d'argent à un éditeur. Quand je publie un livre, des éditeurs viennent me voir pour me proposer de publier quelque chose qui ressemblerait à ce livre dans leur collection. Je leur explique que j'essaye, autant que faire se peut, de ne jamais écrire un livre qui ait déjà été écrit, et tant qu'à faire, pas par moi. Quand je leur présente mon livre suivant, ils le refusent systématiquement. J'essuie une moyenne de dix refus par livre, ce chiffre n'a pas changé avec ma professionnalisation.
4- Pourquoi as-tu commencé à écrire ? Pourquoi continues-tu ?
Parce que j'aime lire. La lecture est l'activité (presque ex aequo avec le sexe) qui me procure le plus de plaisir. J'essaye, j'espère provoquer le même plaisir en écrivant des livres, pour me faire pardonner. Je ne saurai jamais si c'est le cas.
5- Que penses-tu de la place de l'auteur dans le monde du livre et de l'édition ?
8 %. C'est pas bézef.
6- Comment serait l'éditeur de tes rêves ? Quelles qualités essentielles devrait-il posséder ?
Le métier d'éditeur est extrêmement difficile parce qu'il convoque des compétences contradictoires. Un éditeur doit être aussi artiste que l'auteur. Les meilleurs que je connais sont ceux qui se sont au moins essayés à l'écriture de fiction. Je citerais dans cette catégorie Jean-Jacques Reboux, Lilas Seewald et Cécile Terouanne. Un éditeur qui n'a jamais essayé d'écrire de la fiction se posera systématiquement de mauvaises questions face à un texte et ne dira, sauf erreur de ma part, que des conneries.
Le problème, c'est qu'un éditeur doit aussi avoir un œil, pour produire des objets plastiquement beaux et désirables, et doit aussi savoir se sociabiliser, et défendre le projet. On ne peut pas être tout ça à la fois. Personne ne l'est. Le problème, c'est que dans le système actuel, l'éditeur gagne mieux sa vie que l'auteur et par conséquent se sent supérieur à lui. Il n'est pas question que l'éditeur se remette en question, il y a donc peu de chances pour qu'il progresse.
La première chose que je demande à un éditeur, c'est de se comporter correctement avec moi et ne pas me prendre pour un con. Ça représente un sérieux écrémage.
7- Que penses-tu du Trophée Anonym'us ?
C'est une très belle idée, de mixer des auteurs publiés et non publiés, parce qu'au fond, on s'en fout pas mal. Et le trophée est joli. Je me fous pas mal de gagner, mais ça me fait plaisir d'en être.
LES QUESTIONS DE MADAME LOULOUTE...
1- Ton dernier livre, c'est plutôt : Une intrigue aux petits oignons ? Des personnages croqués avec gourmandise ? Une alchimie de saveurs ?
Une alchimie mais alors... doux amer.
2- Tu nous conseilles de le lire : Sur un canapé au coin du feu ? À l'ombre d'un parasol ?Dans le bruit et la fureur d'une ville surpeuplée ?
C'est une question intime (voir les pages d'ouverture de Si par une nuit d'hiver un voyageur d'Italo Calvino). A chacun de voir. C'est le lecteur qui décide, pas le livre.
3- Ce livre, c'est plutôt : Divertir le lecteur ? Le faire frissonner d'angoisse ? Inviter à la réflexion ? Apporter un témoignage ?
Repousser quelques instants les frontières de l'indifférence et de l'ennui.
4- Ton écriture : Elle est comme Pénélope, qui fait, défait, et refait chaque phrase jusqu'à ce qu'elle sonne juste ou bien un premier jet juste retouché pour enlever quelques aspérités ?
Mon premier jet, à de rarissimes exceptions près, ne vaut pas un clou.
5- Ton roman, comme un voyage, est-il : Un chemin au hasard qui t'emporte et t'oblige à t'adapter aux obstacles imprévus qui le parsèment ? Un périple longuement planifié, aux escales anticipées ? Un voyage « théoriquement » organisé, mais qui ne se déroule jamais comme prévu ?
Le 3. Mon opinion, c'est qu'il ne faut tourner le dos à aucune forme de travail. Il faut essayer de maîtriser intellectuellement son sujet, mais ne perdons pas de vue que c'est d'une prétention pathétique, et que traiter le sujet ne nous donnera jamais un livre digne de ce nom. Maîtriser, choisir, se proposer à soi-même tous les chemins possibles, les envisager, et... se laisser guider, surprendre parfois, par l'instinct, la vie, le désir, des forces plus secrètes et plus fortes.
6- Si celui-ci était une boisson, ce serait ... ?

Un alcool aussi fort que possible. L'écriture, la récriture plutôt, me fait souvent penser au travail de l'alambic. Concentration du sens

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