1- Es-tu
écrivain, romancier, auteur ? Vois-tu une nuance entre ces termes ?
Qu'est-ce que ces mots représentent, pour toi ?
J’imagine
la romancière composant ses livres pour dames à l’ombre des
saules pleureurs centenaires, dans sa maison de campagne silencieuse…
Ça ne colle pas avec qui je suis…
Auteur,
auteure sont des mots modestes et tranquilles, passe-partout et
confortables. Des mots-chaises pour les jours de fatigue et de doute.
Ils permettent aussi de spécifier le type d’écriture que l’on
pratique. Je dis que je suis auteur de roman noir et auteur de
théâtre.
Je
dis auteur et pas auteurE. Je n’ai pas besoin d’ajouter un E pour
affirmer ma féminité et mon féminisme, je préfère les mettre en
action autrement ; dans les sujets que j’aborde dans mes livres,
dans le simple fait d’être une femme libre du vingt-et-unième
siècle. Ceci dit, je ne refuse ni ne réfute la féminisation des
noms de métiers. J’aime que l’on puisse avoir le choix.
Quant
à l’écrivain, c’est l’aventurier qui, arme au point, entre
dans la langue par effraction. Il enfonce les portes des évidences
d’un coup de pied sec et précis, il a du muscle et de la bave aux
lèvres et aussi l’élégance racée du danseur. Il pirouette, il
glisse, il fait son cinéma. Il n’est ni homme ni femme. Il est
écriture. Dans les rares moments de grâce et de duende,
j’imagine que je suis ça : un écrivain.
2- Ecrivain/Carrière.
Ces deux mots sont-ils compatibles ? Y penses-tu ? Anticipes-tu cet
éventuel avenir ?
J’essaye
de garder la ligne. Pour un auteur rien de plus important. Bien
écrire, bien composer, prendre le temps, rester libre et concentrée,
voilà mon seul projet de carrière. Après pour le reste…c’est
un jeu de dé et les écrivains sont des joueurs de casino. Tout est
possible, repartir en jag’ ou à pied.
3- Combien
de temps, de tentatives, de refus, avant de décrocher un contrat à
compte d'éditeur ?
J’ai
eu de la chance, je n’ai jamais trop galéré pour être éditée.
Par contre, ça a été long avant de trouver un vrai bon éditeur.
4- Pourquoi
as-tu commencé à écrire ? Pourquoi continues-tu ?
J’ai
commencé à écrire quand j’ai vu la mort roder autour de moi,
vers onze, douze ans. Des proches partaient et avec leur décès, le
sentiment de l’inéluctable me prenait à la gorge. Ecrire, marquer
tous les jours sur le papier quelque chose qui pourrait retenir, ou
au mieux étirer le temps, a été mon premier geste d’écriture.
Le
journal et les textes autobiographiques ont constitué un premier
entrainement, comme un brouillon, mais je savais dès cette époque
que j’en viendrai à écrire mes propres histoires. Elles ont
commencé à émerger lorsque j’avais 15 ou 16 ans.
Ecrire ?
Pourquoi continuer ?... Je tiens à écrire. L’écrire me
tient. Je n’ai pas de réponse plus précise que celle-là.
5- Que
penses-tu de la place de l'auteur dans le monde du livre et de
l'édition ?
Lorsqu’on
entre dans une librairie, on voit sur les tables et les étagères,
le résultat du travail de centaines de personnes, connues ou pas,
médiatisées ou pas, qui ne touche que 8 à 12%, 10% en moyenne, du
prix de leur labeur. Tu achètes mon livre 15 euros, je gagne 1 euro
50… A côté de cela, il suffit d’annoncer qu’on est écrivain
pour que tout le monde se pâme et trouve que c’est tellement
génial, tellement extraordinaire. Comme si on était les rois du
pétrole… Quelques secondes de silence, et aussitôt arrive la
question piège : et vous gagnez votre vie avec les livres ?
Penserait-on
à poser cette même question à une autre profession que la nôtre ?
Quand
on est auteur, même un auteur bien publié, il faut continuer à
avoir un autre métier pour bouffer (prof ou traducteur en grande
majorité), épouser son banquier ou bien prier pour recevoir un
héritage.
Il
y a quelques petits à-côtés, genre ateliers d’écriture ou
rencontres payées, mais tout cela reste un revenu d’appoint.
Car
vraiment, si l’industrie de l’édition existe, ni l’auteur non
médiatisé ni l’éditeur de moyenne taille n’en sont les
principaux bénéficiaires. Pourtant, des footballeurs seulement
connus des amateurs de ce sport touchent un revenu confortable et
n’ont pas besoin d’enseigner le français ou les mathématiques
pour vivre !
Et
je ne parle même pas de tous les métiers rémunérés que notre
activité engendre : libraire bien sûr mais aussi
bibliothécaire, maquettiste, correcteur, imprimeur, attaché de
presse, directeur/directrice de centre régional ou national des
lettres ainsi que toutes les petites mains qui sont rattachées à
ces administrations...
Je
trouve tout cela brutalement inadmissible. Cet état de fait me met
très, très en colère.
Il
faut inventer autre chose.
6- Comment
serait l'éditeur de tes rêves ? Quelles qualités essentielles
devrait-il posséder ?
J’ai
rencontré l’éditeur de mes rêves.
7- Que
penses-tu du Trophée Anonym'us ?
Je
le découvre….et je n’aurais que du bien à en dire…
LES
QUESTIONS DE MADAME LOULOUTE...
1- Ton
dernier livre, c'est plutôt : Une intrigue aux petits oignons ? Des
personnages croqués avec gourmandise ? Une alchimie de saveurs ?
Impossible
de savoir comment le lecteur percevra Gran Madam’s, s’il salivera
ou s’il aura la nausée…
2- Tu
nous conseilles de le lire : Sur un canapé au coin du feu ? À
l'ombre d'un parasol ? Dans le bruit et la fureur d'une ville
surpeuplée ?
Une
lectrice m’a dit qu’elle l’avait lu en partie dans un
embouteillage sur le chemin des vacances, un lecteur en deux nuit
d’insomnie, un autre m’a écrit pour me dire qu’il avait pris
du retard dans un dossier parce qu’il lisait mon roman au bureau,
en cachette…alors, bon, tout est possible avec Gran Madam’s…
3- Ce
livre, c'est plutôt : Divertir le lecteur ? Le faire frissonner
d'angoisse ? Inviter à la réflexion ? Apporter un témoignage ?
Je
n’en sais rien, je ne me pose pas ce genre de questions…je n’ai
en tête que de faire tenir une histoire, la composer, la faire belle
et plausible, que l’architecture tienne. Pour le reste, c’est au
lecteur de voir comment il prendra les choses.
4- Ton
écriture : Elle est comme Pénélope, qui fait, défait, et refait
chaque phrase jusqu'à ce qu'elle sonne juste ou bien un premier jet
juste retouché pour enlever quelques aspérités ?
Je
suis Pénélope ; sans nul doute.
5- Ton
roman, comme un voyage, est-il : Un chemin au hasard qui t'emporte et
t'oblige à t'adapter aux obstacles imprévus qui le parsèment ? Un
périple longuement planifié, aux escales anticipées ? Un voyage «
théoriquement » organisé, mais qui ne se déroule jamais comme
prévu ?
Gran
Madam’s, c’est un voyage plein d’obstacles imprévus, entre un
début secoué et une fin sur la langue…tu me suis, lecteur ?
6-
Si celui-ci était une boisson, ce serait laquelle ?
Un
rosé de Comigne, bien frais mais qui aurait les mêmes effets que
l’absinthe d’autrefois.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire