vendredi 28 octobre 2016

Nouvelle anonyme N°8 - La reine des courges

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Ça les faisait rire ces cons. Ça ne loupait jamais. Une gonzesse pouvait être vendeuse, coiffeuse, maître nageuse et même empoisonneuse, allumeuse de première, branleuse comme pas deux, pourquoi pas enculeuse de mouches, mais camionneuse, ah ça, non ! Quand c’était pas un gag, c’était un tabou.

Il y a des métiers comme ça qui tolèrent mal – mâle – le suffixe. Une fois Joséphine avait pris en stop deux tailleuses de pierre. Elles étaient pas bézef non plus les tailleuses, une toute petite corpo de courageuses. Encore un « euse » ! Elles avaient profité du casse-croûte au Béarnais sur la 117 pour débiter leurs déboires analogues. Camionneuse, comme tailleuse, allumait dans l’œil de l’abruti moyen une lueur, pour ne pas dire une flambée, égrillarde, convoquait les images du dernier porno sabbatique, avec ou sans décodeur, les dérouleuses de câble, les suceuses et, en l’occurrence, les brouteuses. À une raison sociale évocatrice, Joséphine alliait un prénom qui éveille le poète qui sommeille en chaque gros beauf… « Joséphine, celle qui rit quand on la… » Ouais… À la fin du lycée, elle en avait déjà entendu pour toute une vie, aussi, vu la corporation qu’elle rejoignait, elle minimisa les emmerdes prévisibles en se rebaptisant Josèphe. Une petite ablation de rien du tout, la touche finale à une panoplie d’androgyne bizarre. À l’origine, elle avait tout d’une pub Nivea : sylphide, blonde et diaphane. Le genre que l’on peut voir – frange savamment ébouriffée lèvre mordue œil dans le vague –, sur les abribus ou la couverture de Vogue, des mensurations à finir portemanteau chez un haut couturier. Sauf qu’elle n’avait pas lâché le DUT Carrières Sociales pour le mannequinat mais pour le permis poids lourd, qu’elle avait par la même occasion consciencieusement empâté sa silhouette, buriné son teint, coupé et coiffé sa tignasse à la clef de douze. Ca ne l’avait pas tellement aidée à passer inaperçue, mais c’est sûr, elle semblait d’un coup un peu moins L’air du temps de Nina Ricci, un peu plus Kronenbourg.

Camionneuse. Une vocation pas tant contraire que contrariante. Une provocation. Tout pour faire chier. Tout pour cracher à la gueule de sa mère, et du blaireau de sédentaire avec lequel elle s’était recasée, qu’elle allait faire le métier de son père, le vrai, et si possible le retrouver.

Qu’est-ce qu’elle avait à lui reprocher à Robert, en somme ? Rien. Tout. Un papa de rêve, un papounet d’amour, qui lui avait appris à monter à vélo, à faire les règles de trois, à planter des clous, différencier le placo du béton cellulaire, qui lui avait tenu des bassines et passé des compresses sur le front des nuits entières quand elle était malade. Tant qu’elle avait ignoré qu’il venait s’intercaler entre elle et le rêve d’un héros qui serait un jour venu la chercher, la reconnaître, l’emporter au pays des tulipes, elle l’avait idolâtré.

Atomisation du piédestal en deux temps trois mouvements.

Robert avait plus que morflé dans la chute. Faut dire qu’il était déjà pas bien flambant. Un an plus tôt ses reins avaient commencé à déconner sévère. S’étaient ensuivis des mois de calvaire : examens, endo, colo, cœlio scopies, biopsies, diagnostics pourris, hospitalisations, opérations, néphrectomie, dialyse à vie.
« Pas question ! J’te donne un rein. Vas-y, choisis ! Droit ou gauche ? », elle lui avait balancé. « Tu dis toujours que je suis une "pisse-trois-gouttes", eh ben, je pisserai moins. Gagnant-gagnant ! Tope-la papa ! »

C’est là que la couille était tombée dans le bénitier. Il n’avait pas topé. Il ne voulait pas. Bien sûr qu’il ne voulait pas…

Elle était passée outre, avait suivi le protocole, fait les analyses. Résultat : pas compatibles. Mais bon, « pas compatibles », c’était limite un détail vu la saloperie que le bilan avait remontée à la surface. « Pas compatibles », ça arrivait à des gens très bien. Ça arrivait à des gens d’une même famille, des frères et sœurs, des ascendants et des descendants… Joséphine et Robert n’avaient pas une brindille de ce putain d’arbre généalogique en commun. Rien. Des gènes qui ne s’étaient jamais croisés de près ou de loin. Les résultats étaient formels. Que sa mère ait pu tromper son père c’était dégueulasse. Enfin, ça aurait été dégueulasse si Isabelle avait trompé Robert. Mais non. La seule tricarde dans cette affaire, c’était Joséphine.

La mère s’était fait tirer les vers du nez aux forceps et au crachat. Dans le pavillon de Tourcoing, les « je t’emmerde » avaient soudain volé bas et en escadrons. Résultat : un conte de Noël bien crapoteux. Le récit d’une conception maculée au possible, entre les deux réveillons, dans la cabine d’un poids lourd qui transbahutait des courgettes. Des courgettes en décembre… Et pourquoi pas des abricots ? Huit mois et demi après s’être fait culbuter et déflorer (tant qu’à faire) quasi à l’ombre des cucurbitacées, sa mère avait mis au monde une grande courge. Une grande courge aux cheveux blonds et au regard bleu minéral. Tout était dans l’ordre des choses, ou presque, quand on sait que le camion était immatriculé aux Pays-Bas. Être typée viking, aux antipodes de Robert – brun râblé ténébreux, plus méditerranéen tu meurs –, ne l’avait jamais dérangée. Elle avait gravé dans le cœur envers et contre toute évidence qu’elle lui ressemblait. La fille à son papa. Or, Joséphine avait treize mois quand Robert avait rencontré Isabelle. Il avait pris le lot, épousé l’une reconnu l’autre. Le brave mec. Le cocu volontaire et par procuration. Et maintenant, il aurait voulu quoi à défaut d’un rein ? Une médaille ? Pour bons et loyaux services ? Comment on dit déjà ? « Faire un enfant dans le dos. » Et pourquoi pas « faire un père dans le dos » ? Sans blague ! À rebours de toute logique, elle ne lui pardonnait pas de l’avoir laissée être la fille d’un connard de passage. Il n’avait qu’à être là avant ! Elle ne lui en aurait pas voulu davantage s’il l’avait abusée ; nuance, il l’avait abusée, elle était souillée. Rien que de penser qu’il lui avait donné son bain quand elle était minotte, elle en avait la gerbe. Par une inversion cruelle, elle ne l’appela plus que « l’autre bâtard ». Un retour à l’envoyeur chauffé à blanc. Elle ne remit plus les pieds à l’hôpital. Quant à sa mère, cette conne juste bonne à se faire sauter engrosser, pas foutue d’aller avorter dans la foulée, elle ne lui trouvait pas d’excuse, pas même celle de ses presque dix-sept ans au moment des faits. Qu’une séance de pelotage puisse dégénérer en pénétration pas exactement consentie – soudain plus de patins, de gamelles, de suçotage des babines, pour cause que l’un des deux belligérants appuie sa main sur la bouche de l’autre pour l’empêcher de crier –, bref, qu’il y ait eu ce que certains appelleraient volontiers un viol, non, ça ne l’effleurait pas. Quand Josèphe s’envoyait en l’air, c’est qu’elle l’avait voulu. C’est toujours elle qui lançait les hostilités. Il y avait un bail que ses compatriotes avaient cessé d’essayer de l’attraper ; elle ne couchait qu’avec des étrangers qu’elle allait brancher de façon abrupte, pour ne pas dire péremptoire. Pas de flirt, pas de parade. La chose pure et dure, et dans sa propre cabine. Hors de question qu’elle se fade un duvet douteux ou un plan à trois avec la page centrale de Playboy. À part ça… Difficile de dire si le sordide, le franchement dégueu, l’abject la laissait de marbre ou la branchait méchamment. Quant à ce que tout étudiant en première année de psycho aurait vu comme la reproduction du schéma maternel… rien à foutre. Et la reproduction tout court, n’en parlons pas ! Elle aurait pu porter son stérilet en sautoir, ça aurait eu autant d’effet vu qu’elle n’avait plus l’ombre d’un cycle menstruel. Ce rein qu’elle n’avait pu sacrifier sur l’autel de l’amour filial lui avait coupé les trompes.

Ce qui n’enlevait rien à son charme braque et hors du commun. De mémoire de routier, jamais on ne l’avait vue se prendre une veste. Jamais on n’avait vu non plus un homme rester dans sa cabine au-delà des quarante-cinq minutes. Record absolu, sauf… sauf ce Portugais plus fluet qu’elle, timide comme une pâquerette. Cette ablette… Un comble ! Qu’est-ce qu’il lui avait fait de plus que les autres ? La rumeur allait jusqu’à prétendre qu’il avait réussi à remettre le couvert deux ou trois fois. Elle n’était cependant pas plus du genre à s’abonner qu’à s’abandonner et elle avait vite coupé court à ce qui aurait pu passer pour une relation. Quand elle croisait Aurelio, elle le snobait, sans ostentation, simplement comme s’il était invisible. Invisible, mais pas indolore. Le manque, qu’elle avait rayé de son vocabulaire, s’était incrusté sous sa peau, pire qu’une portée d’aoûtats. Dès qu’elle passait à moins de trois mètres du Portugais, ses poils se dressaient, son ventre crépitait, son cœur s’emballait comme celui de n’importe quelle midinette. Elle se faisait payer ces émois de gonzesse standard en invitant instantanément le plus con de la troupe à la baiser – croyait-il, le plus con en question… Dans sa tête à elle, aucune ambiguïté : c’est elle qui le baisait. Celui qui pensait avoir pris la sortie « Mc Do de la tendresse » en était pour ses frais. Plus c’était sagouin, mieux c’était. C’était sa silice. Sa façon de gratter là où ça démange, de ravager la plaie à l’aide du clou réputé chasser l’autre. Un clou rouillé, de préférence. Un accouplement de gorets pour contrer la tendreté. Hors de question qu’elle se tape un gentil. Elle en avait eu un à domicile toute son enfance. La pire engeance. Basta.

À son insu (et il valait mieux parce que sinon elle leur aurait pété la gueule, non mais de quel droit, bande de connards ?!), à son insu, donc, les gars veillaient sur elle lorsqu’elle ramenait un mec à son camion. Après l’avoir raillée, bizutée, l’avoir emmerdée sur sa seule restriction professionnelle – elle ne transportait pas de courgettes. Jamais. Les spéculations étaient allées bon train sur l’embargo à l’encontre du légume sextoyesque –, après avoir rongé leur frein de devoir dormir sur la béquille alors que n’importe quel clampin pouvait se la faire du moment qu’il était immatriculé hors Hexagone, ses confrères avaient fini par la prendre en affection, autant qu’on pouvait affectionner ce genre de gamine urticante. Ainsi, quand elle baisait, ils ne dormaient que d’un œil, ne rongeaient leur gigot que d’une canine. Non qu’on doutât qu’elle soit apte à se défendre comme une grande si elle tombait sur un malotru, mais… c’était plus fort qu’eux, inconsciemment ils la chaperonnaient, restaient en hypervigilance et ne relâchaient la tension que lorsque le gus du jour descendait du camion. L’avantage, c’est que c’était pas long ; ça leur coûtait pas grand-chose et ça leur mettait l’imagination en train.

Aurelio…
Six mois plus tôt, elle s’était dit que ça lui passerait.
Ça ne passait pas.
Au contraire, la brûlure était toujours plus vive.

Un soir, cependant qu’Aurelio la démange plus que de coutume, elle scrute la salle : rien de neuf, rien d’extraordinaire, rien qui lui semble à la hauteur de l’outrage. Et puis, si, finalement. Déglingué juste ce qu’il faut, une gueule d’ange un brin dégueulasse, des yeux ardoise, une brosse grise, les dents un peu en vrac mais bien aiguisées… Une caricature de loup de mer. Sans blague, on le verrait mieux sur l’étiquette d’une boîte de thon ou à la barre d’un trois-mâts qu’au volant d’un 38 tonnes. Pas moche, pas crade, mais quelque chose de vénéneux, de suffisamment malsain pour que l’expédition soit punitive à coup sûr. Banco ! Il en est aux fruits au sirop lorsque Josèphe pique vers lui. Avec la désinvolture habituelle, elle lui propose la botte et le coup de l’étrier, deux en un. Les yeux des convives ne se donnent pas la peine de se braquer sur eux. Tout le monde connaît la scène par cœur. Le type gobe la dernière cerise, engloutit le jus à même le ramequin et après avoir recraché le noyau et s’être essuyé la bouche soigneusement avec sa serviette en papier, et certainement pas avec son revers de manche, il emboîte le pas de la fille.

Selon le règlement, l’effeuillage n’est pas de rigueur. Josèphe préfère que ce soit vite fait bien fait et la plupart des gars s’en accommodent, mais celui-là veut ôter son tee-shirt. Tout ça pour ça. Un truc accroche, il force. Au moment de se rhabiller, il s’aperçoit qu’il a perdu la chaîne qu’il portait au cou. Il faut allumer la lampe… Tout ce que Josèphe déteste : les prolongations en pleine lumière, le vis-à-vis postopératoire. Quand c’est fini, c’est fini. Et là, les voilà à retourner le plumard, à moitié déculottés. Lui, dépoitraillé, surtout. Il retrouve enfin sa médaille. Allez, ouste, dehors ! Mais non, il lui fait face un instant pour montrer son pendentif à l’effigie de…

En dessous de la clavicule, à quelques encablures du téton droit, en diagonale de celui de Josèphe, comme un reflet déconnant, la constellation. Elle la connaît sur le bout des doigts, elle la voit tous les jours dans le miroir et seulement dans le miroir, quand elle est à poil. Cette grappe de grains de beauté lui a longtemps pourri le décolleté... Sa mère essayait toujours de la planquer. Elles avaient fait le tour des dermatos de la région parce qu’elle voulait les lui faire extirper à coup d’azote ou de bistouri sous prétexte qu’une telle profusion ne pouvait être que cancéreuse. Peine perdue. Pas plus de mélanome malin que de beurre en branche, aucun spécialiste n’avait consenti à charcuter la gamine, à remplacer ce signe particulier, somme toute plutôt joli et original, par un tas de cicatrices. C’est l’un d’eux qui avait fait remarquer qu’à la queue en éventail près, l’alignement des points ressemblait à la constellation du scorpion. Le fait qu’elle soit née sous le signe du Verseau n’était pas un argument suffisant pour faire gommer la chose. Sa mère faisait une véritable fixette sur ce truc et voilà que soudain l’Ostrogoth en face d’elle arbore le même ensemble de points, au même endroit. Ça rappelait ce jeu dans les magazines pour enfants : « Relie les points en suivant les numéros et tu trouveras… » Il y avait pourtant longtemps qu’elle ne fait plus semblant de chercher.

Elle ne parvient pas à détacher ses yeux de la poitrine de l’homme. Il pose un doigt sur le dessin :« Schorpioen ! Ik ben geboren Schorpioen ! Comment dire in frans… ? Scorpio… Tatoeage… tatoo… de sterren… the stars. Constellatie Schorpioen…, baragouine-t-il en pointant maintenant son doigt vers le ciel étoilé. Comprendre ? »
Non, elle ne comprend pas. Elle n’entend plus rien. En revanche, malgré la lumière poisseuse du plafonnier, elle ne doute pas de ce qu’elle voit.

La plainte enfle du gémissement au hurlement. Une sirène détraquée. Elle ne peut plus s’arrêter. Tandis qu’il essaie de la calmer, de la faire taire, elle se met à le griffer. Au visage, aux yeux, mais surtout à la poitrine, là où se pavane le monstre. Elle essaie de l’arracher. Oui, une sirène détraquée, une vierge folle, une furie. Une grande claque l’envoie valdinguer la nuque contre le tableau de bord. C’est dans le silence retrouvé que les gars débarquent, ouvrent la porte et font atterrir le Néerlandais sur le bitume. Ceux qui ne sont pas en train de le lyncher appellent les pompiers ou essaient de ranimer Josèphe.
Joséphine, elle, est déjà loi
n.

mardi 25 octobre 2016

Ellen Guillemain – Sous le feu des questions


LES QUESTIONS DU BOSS

N'y a-t-il que du plaisir, dans l'écriture, ou t'est-il déjà arrivé de ressentir une certaine forme de douleur, de souffrance, dans cet exercice ?

  • Attends, je prends mes anxiolytiques et je te réponds… Je plaisante bien sûr, néanmoins, plus on écrit, plus on se met de pression. Des moments où l’on atteint le nirvana et d’autres où l’on touche le fond.

Qu'est-ce qui te pousse à écrire, finalement ?
  • Si je le savais, peut-être arrêterais-je ?

Comme on le constate aujourd'hui, tout le monde écrit ou veut s'y mettre. Sportifs, stars du show biz, présentateurs télé, journalistes, politiques, l'épicier, ta voisine... de plus, des sites proposant des services d'auto-édition pullulent sur le net. Ça t'inspire quoi ?
  • C’est inévitable donc plutôt que de râler, je préfère me concentrer sur ce que j’ai à faire, à savoir progresser et sortir un travail de qualité en étant bien accompagnée.

Le numérique, le support d'internet, les liseuses, les ebook, les réseaux sociaux, sont une révolution pour les auteurs et bousculent également le monde de l'édition. Que penses-tu de ce changement ?
  • Comme dans ma réponse précédente, je pense que c’est inévitable et que je suis mal placée pour cracher sur tous ces changements d’autant que le pire comme le meilleur peuvent en sortir.

Il semble que de plus en plus, les auteurs prennent en charge leur communication, font leur publicité, créent leurs propres réseaux, prolongeant ainsi le travail de l'éditeur de façon significative.Te sers tu toi aussi de ce moyen pour communiquer sur ton travail, annoncer ton actualité, discuter avec tes lecteurs ou d'autres auteurs et ainsi, faire vivre tes livres plus longtemps ?
  • Oui, un peu mollement je l’avoue. Les bons éditeurs font ça très bien. En revanche, j’ai pu avec un grand plaisir développer des relations amicales avec certains lecteurs par les réseaux sociaux ou approcher d’autres auteurs que j’admire. C’est un fait aussi que faire partie d’une petite ou moyenne maison d’édition permet de faire vivre un livre beaucoup plus longtemps.

On dit qu'en 25 ans, le nombre de livres publiés a été multiplié par deux, leur tirage ayant baissé de moitié pendant cette même période. Comment sortir le bout de sa plume de cette masse de publications ? Être visible ? N'est-ce pas décourageant pour les jeunes auteurs ? Que leur dirais-tu ?
  • J’ai surtout constaté que chaque auteur, jeune ou vieux, y croit toujours, sinon, à quoi bon écrire ? Il faut juste savoir qu’on peut être un très bon écrivain et ne jamais percer et vice versa, c’est ainsi…

Les relations entre un éditeur, ou un directeur de collection, et un auteur, pourraient faire l'objet d'une psychanalyse, me disait un écrivain, récemment. Qu'en penses-tu ? Comment analyserais-tu cette relation que tu entretiens avec eux.
  • C’est un peu comme un mariage en vérité, on fonde beaucoup d’espoirs et de rêves ensemble et puis parfois on divorce. Le principal étant qu’on ait réalisé un superbe projet ensemble au moment X.
 
J'ai pensé longtemps, et ma bibliothèque s'en ressentait, que le noir, le polar, était une affaire de mecs. Les coups durs, la débine et la débauche, les gangsters, la baston, les armes, les crimes et la violence en général… une histoire de bonshommes. Aujourd'hui, les femmes sont de plus en plus présentes dans l'univers du polar. Grâce au Trophée, j'ai pu me rendre compte qu'il y avait de nombreux auteurs femmes dans ce genre. Ce n'était pas le cas il y a quelques décennies.
Quelles réflexions cela t'inspire-t-il ? À quoi cela est il dû, selon toi ? En lis-tu et, si oui, Lesquelles ?
  • Je n’en n’ai aucune idée. Sans doute les femmes ont-elles aussi envie d’évacuer leur côté sombre qui est si souvent nié dans notre société où on les associe souvent à la douceur, la tendresse, la beauté, la maternité. Elles sont talentueuses dans ce domaine du noir et du polar mais je n’en n’ai jamais douté. 
 
Pourquoi as-tu accepté de participer à ce Trophée ?
  • Par défi tout simplement. Quand je vois toutes ces personnes talentueuses qui ont accepté aussi, j’ai le disque dur qui fonctionne très fort.

 

LES QUESTIONS DE MME LOULOUTE

Vie professionnelle, vie de famille, salons et dédicaces, à l'écriture reste-t-il une place ?

  • Bien évidemment que non. La vie professionnelle empiète sur l’écriture qui elle-même empiète sur la vie de famille. Pas simple de se poser parfois.

A-t-on encore les idées claires, quand tous nos héros broient du noir ?
  • Plus que jamais justement !

La rentrée littéraire approche. Un livre, ça va, 560, où est-ce qu'on va ?
  • Plus on est de fous, plus on rit (jaune)

Le dicton du jour : À la saint Grégoire, sort un livre de ton placard. Je t'écoute.

  • Sukkwan Island de David Vann, éditions Gallmeister. Il me hante encore, quatre ans après l’avoir lu. 

Boire ou écrire, faut-il choisir ?
  • Les deux, mais pas en même temps.

La littérature est le sel de la vie. Passe moi le poivre.
  • Les rencontres avec des gens éblouissants, mais telles le poivre du Cameroun, elles sont rares et précieuses.

Lire aide à vivre. Et écrire ? 
  • A s’échapper d’entre les cons.

Une anecdote à nous narrer, sur un salon, lors d'une dédicace, d'une table ronde, 
un événement touchant, drôle, étrange… ?
  • Le nombre de femmes qui sont venues me rencontrer lors de la sortie de mon premier roman « Un crime amoureux » ed In Octavo, non pas pour m’acheter le livre, mais pour me raconter en long, en large et en travers, qu’elles aussi vivaient avec un pervers narcissique.

Nous te remercions d'avoir répondu à nos questions et d'être présent(e) avec nous, pour cette troisième édition du Trophée Anonym'us.
  • C’est moi qui vous remercie de me permettre d’exercer mon art sur un air de défi

vendredi 21 octobre 2016

Nouvelle anonyme N°7 : Elle et lui




Le rendez-vous était prévu au Salon du livre de Paris. Nouveau millésime ! Des éditeurs, des écrivains et les visiteurs. C’était une grand-messe, un lieu voué au lectorat de l’extrême. Sans eux, pas de roman, pas de romance, pas de polar. Rien, la fin du monde. Dans la Ville lumière, étaient venus se côtoyer les fous et les surexcités de la société livresque. Hors du temps et des haines politiques, un instant suspendu pour la survie de l’espèce culturelle. Une fête célébrant la liberté d’expression en tout genre ; l’interdire revenait à entrer en dictature. Ces hyperlecteurs s’y adonnaient à une danse contre la nature barbare et pratiquaient un exorcisme de l’autodafé. Le livre y était manipulé, humé, dévisagé. Les auteurs en étaient déifiés, promulgués comme des nouveaux messies. Une religion sans dogme rédhibitoire, dans laquelle le mot était roi, un corps caverneux dans lequel la vie coulait sans interruption. Bandant à souhait !

Isabelle se moquait bien de ces pédantes considérations.

Elle n’était pas venue pour les livres, mais pour se livrer. Elle se destinait à l’un de ces écrivains, de ceux qui attendaient la plume à la main. Dans sa voiture, elle avait peur. Cela faisait tellement longtemps qu’elle ne l’avait pas vu.

Elle avait fait le déplacement pour le toucher, pour émouvoir sa cible. Lui !

L’autoradio passait une chanson de Dalida "Il venait d’avoir 18 ans, il était beau..."
Elle venait d’avoir 18 ans quand elle était partie, quand elle avait tout quitté.
Elle était jeune et maintenant, elle se sentait si vieille. "J’ai mis de l’ordre à mes cheveux, un peu plus de noir sur mes yeux..." Oui, ce matin elle avait pris plus de temps pour se préparer. Saloperie de radio, toujours à réinjecter dans le quotidien les mélopées dégoulinantes du passé !

Elle ne voulait pas le décevoir, depuis le temps qu’elle ne l’avait pas vu, depuis qu’elle l’avait tenu dans ses bras pour la dernière fois. Leur première rencontre avait donné le top départ de leur vie respective. Une vie qui avait dès lors commencé à pourrir. Dieu avait craché sur leurs tombes qu’ils n’avaient plus fini de creuser !

Laszlo Dorian était de retour à Paris, un lieu qui lui rappelait des souvenirs.
Il y avait vécu dans sa jeunesse. La famille de son père était d’origine prolétaire, de ces boulevards populaires. Ainsi, il était content de lui, fier d’être devenu écrivain.

Il avait trimé, comme ses ancêtres.

Il avait sculpté dans le papier les sueurs dégoulinantes de son talent, afin de sortir de la misère et le résultat était là, palpable. L’hémoglobine l’avait délogé de la pauvreté.

Il était maintenant un brillant représentant du commerce du sang. Si son père débitait des carcasses d’animaux dans l’arrière-boutique d’un boucher ainsi que des coups à ses multiples maîtresses, lui, dépeçait des corps de femmes et ensanglantait des pages blanches pour le plus grand plaisir de ses fans. Malgré les obstacles de la violence, les aléas de la vie et de la mort, il avait survécu. Aujourd’hui, il était un auteur qui promettait beaucoup d’après les critiques littéraires.

Il venait distribuer des signatures, vendre son âme d’artiste, se faire photographier avec ses admirateurs, ces charognards de l’imaginaire. Son quatrième livre, un roman noir comme les précédents, marchait très bien. Les lecteurs allaient sans doute venir nombreux pour le rencontrer. Déjà, depuis l’ouverture, il avait fait pas mal de dédicaces. Certains de ses voisins étaient plus prestigieux que lui. Cependant, il était déjà un peu connu, sa carrière avait vite pris de l’ampleur et la fortune arrivait à grands pas. Laszlo n’était plus un anonyme, usant déjà des ficelles miellées de la notoriété.

Il avait dans son collimateur ce romancier, Lazard Grimaud, un ancien policier qui dégainait avec le même brio son stylo et son flingue. De l’autre côté de l’allée, il enviait la foule qui attendait Adama Nesgravia, l’écrivaine qui extirpait chaque année de son Montblanc 150 pages d’une mixture à faire défaillir les foules. La trentenaire à ses côtés, quant à elle, était sympa comme beaucoup en général dans ces salons ; une auteure qui faisait dans la romance érotique, histoire cucul et sexe nunuche. Il en fallait bien pour tous les goûts !

Il les aurait tous tués pour obtenir une miette de leur succès et de leur richesse. Encore une fois, seul l’écran de son clavier était éclaboussé de ces massacres virtuels. Aucun courage, cela le minait.
Et puis il y avait les lectrices, celles qui adulaient les romanciers comme s’ils étaient des rock-stars. Néanmoins, une visiteuse en particulier, allait se distinguer des autres.


Il savait qu’elle avait hâte, qu’elle était en attente et surtout qu’il allait la décevoir, la repousser. Pas uniquement pour le plaisir de lui faire mal… C’était plus que ça ! Elle allait déguster au propre comme au figuré : cette salope allait maudire le jour de la naissance de Laszlo le Magnifique. Et après cela, il savait qu’il serait délivré, qu’il pourrait changer son mode opératoire.

Il avait des frissons dans le dos à l’idée de la briser ! Trop de douleurs lui torturaient les méninges. Les souvenirs… Et pourtant ils avaient eu tous deux le bonheur à portée de main. Si seulement…


Isabelle se remémorait les avertissements de ses copines. Elles lui avaient bien dit de ne pas le laisser, comme ça, sans explications. Seulement elle ne les avait pas écoutées.

Elle avait toujours eu soif de liberté.

Elle était de toute façon trop jeune quand elle avait croisé son regard la première fois. Regrettait-elle son départ ? Non, pas vraiment.

Elle avait vécu comme elle l’entendait. Aujourd’hui, la cinquantaine approchant, elle avait eu tous les amants qu’elle avait désirés. Aujourd’hui, la beauté s’éloignant, elle avait eu tous les soucis qu’elle n’avait pas désirés. Son cœur était affaibli et meurtri, elle espérait avoir l’extrême onction de Laszlo. Un dernier mot, une dernière caresse qui effaceraient les coups du sort.

Elle attendait le pardon. Et pourquoi pas, un peu d’amour, encore, s’il n’était pas trop tard ?
Elle accepterait toutes les tortures de sa part, elle lui offrirait sa pauvre carcasse en pâture.

Elle comptait bien endurer les martyres décrits dans ses romans. Elle avait lu toute l’œuvre de Laszlo Dorian, tout ressenti dans sa chair. Elle l’avait eu dans la peau de chapitre en chapitre, incarnant son mal du prologue à la conclusion fatale.

Elle seule avait les clefs de son inspiration, savait pourquoi ces pauvres filles morflaient dans ses fictions, elle avait conscience que c’était elle, la vraie victime, la vraie coupable. Quand il écorchait sa proie aux creux des pages, elle en percevait les sévices. Et elle aimait ça ! En redemandait comme une pénitente à bout de souffle, à bout de vie.

Laszlo ne savait pas à quoi elle ressemblait maintenant.

Il avait le souvenir d’une chevelure magnifique et des quelques baisers sur sa nuque. Du miel qu’il avait cherché sur d’autres corps, auprès d’autres regards. Dans son dernier bouquin, Isabelle se faisait étrangler après maintes morsures. Son héros en avait bu le sang, la sève jusqu’à l’écœurement.

Il lui avait pris la vie à pleine bouche, au goulot, gloutonnement. Et à chaque page écrite correspondaient des nausées.

Il n’arrivait pas à exorciser sa douleur.

Il craignait d’être saturé de crimes irréels. Pour cette raison, il lui avait envoyé une invitation. Cette fois, il avait envie de concrétiser son aversion, ses amours défuntes. Bientôt il allait engloutir celle qui personnifiait son fantasme depuis si longtemps. Sa plume se tarirait peut-être, son talent s’écoulerait comme la vie de ce corps qu’il manipulerait enfin.

Il ne pouvait plus continuer comme ça et devait trancher dans le vif sans penser aux conséquences. Isabelle dont il avait si longtemps souhaité la chute allait arriver. Il attendait d’admirer dans son regard l’effroi du rejet. Être vengé, l’anéantir comme dans ses romans, la piétiner. En la contactant, il était resté flou, avait laissé un peu d’espoir pour la voir tomber de haut. Cette Messaline symbolisait l’origine immonde, de son monde d’errance…

Isabelle était terrorisée. Et ses talons qui claquaient maintenant sur le bitume du parking, représentaient le compte à rebours vers le jugement, peut-être vers l’échafaud. Condamnée, elle savait qu’elle allait succomber, son cancer se généralisait.
Elle attendait un peu de réconfort de celui qui lui avait laissé un espoir, dans une lettre et au téléphone...
Elle tenait dans sa main moite le bijou pour entrer dans le cœur de cet homme, elle allait s’en servir. « L’espoir fait vivre ! » De ce cliché, elle espérait donc une embellie, un peu de temps en plus, du bonus, même si elle savait qu’au fond, elle ne le méritait pas tout à fait.


Laszlo au Salon du Livre de Paris ! Un moment qu’il aspirait depuis que son éditrice lui avait dit qu’il en serait un invité de marque.

Il regardait l’ensemble des exposants. Ces gens qui passaient leur existence à écrire, qui se penchaient sur une page blanche et tentaient de construire une histoire. Le plus souvent ils reconstruisaient la leur. Comme lui, dans son premier roman, qui déjà martyrisait une jeune fille de 18 ans, cette pouffiasse se faisait maltraiter pour expier ses pêchés. Alors, là, sur son stand, il signait, saignait en souriant.

Il se délectait de sa toute nouvelle renommée et du mal qu’il allait faire à cette femme. L’attente était doucereuse.

Il se remémorait son parfum. Un mélange de jasmin et de fleur d’oranger, une mixture qu’il reconnaîtrait n’importe où, n’importe quand. Un jour, dans une foule, il avait suivi une femme blonde, exhalant la même odeur qu’Isabelle. Comme un chien, les sens en alerte, il l’avait pourchassée et coincée dans une rue minable de Londres. Elle s’était laissée embrasser, flattée de faire envie à un si beau gosse. Et au moment de l’avoir à sa merci, alors qu’il allait entrer en elle, debout contre le mur, le corsage déjà lacéré, elle s’était débattue. Elle s’était dégagée de ses mains qui voulaient l’étrangler, soudain dégoûtée. Comme Isabelle qui l’avait repoussé ! Trop inexpérimenté, trop mou, il avait échoué dans sa tentative de tuer cet ersatz d’Isabelle. D’où son premier succès littéraire, d’où sa première victime sur tranche dorée, maintenue à sa merci à l’encre rouge. Une tentative avortée ! Les prémices pitoyables de sa carrière d’assassin ! Une impuissance livresque qu’il s’était juré de se faire pardonner. Jusqu’à ce jour, il n’avait jamais pu réaliser ce dont il se sentait capable.

Il allait pouvoir la massacrer, aujourd’hui, en vrai, grandeur nature. Sa haine s’était ravivée dès qu’Isabelle lui avait parlé, cette voix au téléphone comme l’élément déclencheur qui allait le transformer en meurtrier. Son timbre si significatif avait tout remis sur le tapis. Son excitation malsaine le terrassait.

Il était en manque, imperméable à toute compassion. Les dès était jetés et les cartes ne demandaient qu’à se faire abattre. Il en tremblait d’avance. Il allait achever le travail commencé des années auparavant. Bientôt la fin du jeu !

Isabelle essayait de garder son sang-froid, d’éloigner les paroles néfastes de cette foutue chanson. Inlassablement, Dalida s’entêtait à lui instiller la mélodie du malheur. « Quand il s’est approché de moi, j’aurais donné n’importe quoi… ». D’une démarche mal assurée, elle s’approcha de la table de l’homme qu’il était devenu.
« Mon amour, mon seul véritable amour, que tu es beau ! » s’exclama-t-elle en son fors intérieur.
« Il était beau comme un enfant… », susurrait perfidement la chanteuse au subconscient d’Isabelle.
Doucement, elle glissa la petite médaille ornée d’un chérubin. Ce bijou, cadeau du passé brillait d’un éclat particulier sur la couv’ vermeille du dernier livre de l’écrivain... Une trace d’innocence sur le corps d’une jeune fille sanguinolente. La main virile et forte de l’auteur s’en empara rapidement.
Odeur de jasmin, de fleur d’oranger, battements de cœur, frissons des épidermes… Tout allait soudain trop vite, trop lentement…
Laszlo leva le regard sur Isabelle. Elle était vieille et fatiguée. Elle ressemblait à une chanteuse des années 70. Du mascara coulait sous les vestiges de ses yeux bleu azur. L’instinct du prédateur était pris au piège de sa victime. Une poigne invisible s’agrippa au coup de Laszlo. Des gouttes de sueur perlaient au bord de ses longs cils faisant écho à ceux de cette femme, là devant lui. Tout de suite, il savait qu’il allait l’aimer, à nouveau. Ne plus infliger d’horreurs à ces pauvres filles sur papier glaçant.

— Maman !

mardi 18 octobre 2016

François Medeline sous le feu des questions

LES QUESTIONS DU BOSS.


1- N'y a-t-il que du plaisir, dans l'écriture, ou t'est-il déjà arrivé de ressentir une certaine forme de douleur, de souffrance, dans cet exercice ?

L’écriture aide à trouver la foi. C'est ma conviction. A condition d’être sérieux dans le travail, respectueux de ce que l’on fait, de s’imposer une discipline morale. Quand tu vas assez loin, il n'y a plus de plaisir furtif du créateur tout puissant et surtout plus de douleur intense de petit garçon. Juste la foi. Même Dieu finit par cesser de te parler. Tu écris alors « fin ». C'est ton dernier acte futile. Et c’est le paradis.


2- Qu'est-ce qui te pousse à écrire, finalement ?


Si j’étais malhonnête, je dirais la gloire, un besoin irrépressible de reconnaissance, la vanité. Mais c’est faux car je ne sais pas. Voilà, je ne sais pas. Le jour où je le saurais, je suppose que je n’en éprouverais plus le besoin. Ca ne sera plus vital.
3- Comme on le constate aujourd'hui, tout le monde écrit ou veut s'y mettre. Sportifs, stars du showbiz, présentateurs télé, journalistes, politiques, l'épicier, ta voisine... de plus, des sites proposant des services d'autoédition pullulent sur le net. Ça t'inspire quoi ?

Déjà, je ne sais pas si c’est réellement une singularité de l’époque. La singularité de l’époque, c’est la révolution technologique, la circulation des informations à 300 000 000 m/s. La datasphère, l’information, ses modes de diffusion directe grâce à un médium très chaud, la fin des savoirs. La bonne question n’est donc sans doute pas là. On peut en revanche se demander pourquoi et comment Amélie Nothomb vend des millions de livres alors que c’est de la merde. La métaphysique des tubes, mon cul. C'est quoi ce grand bazar qui fait que les livres les plus vendus sont dans 99% des cas de la merde ? Je ne les lis d’ailleurs pas mais la merde, tu n’as pas besoin de la goûter pour savoir que ça en est, tu la sens arriver de loin. Et ça déferle, là.

Bref, les personnalités publiques type sportifs veulent souvent s'épiler le nombril en public, ou faire du fric, se construire une image pour faire du fric, optimiser leur potentiel marketing, et gagner encore plus de fric, et gagner du fric, je trouve ça beaucoup plus légitime, plus honnête. La notoriété, c’est le jackpot.

Le grand déballage voyeuriste du showbiz, la-grande-actrice-qui-m’a-sucé-quand-j’avais-douze-ans, quand ça arrive c’est le top. C'est hush-hush, toujours. J'ai adoré lire Voici pour ça. C'est un peu comme lire Ellroy.

Quant aux quidams… Mon grand-père écrivait des poèmes, ma mère me lisait des morceaux de son autobiographie inachevée, le soir, à la place des contes de Perrault et j’ai mis en ligne gratuitement deux mauvais manuscrits sur un site d’autoédition. Le quidam est souvent plus artiste que le chanteur de variété. Les données fournies sont juste moins adaptées à la chaleur du médium, le potentiel capitalistique est beaucoup plus faible. L’écrit, en tout cas la phrase qui dépasse 140 caractères, est adapté au congélateur, à la différence du son, de l’image. Il peut y avoir beaucoup trop d’intelligence et d’humanité dans l’écrit, d’ailleurs, ça se vend mieux quand il y en a peu, parce que la merde c’est à 37,7°, c’est chaud.

Les sites d’autoédition sont un modèle économique, ni plus ni moins: au lieu de vendre 1 livre à 500 000 personnes (ce qui est difficile), tu vends 10 livres à 50 000 gugusses (ce que est facile) qui sont de plus heureux d’acheter leur œuvre reliée et de ranger leur exemplaire sacré à côté d’un John Fante. Enfin, d'un John Fante s’ils ont bon goût. Je l’ai fait. Misère psychologique ? Egotisme ? Générosité ? Humanité ? Je n’ai pas de réponses et ça ne m’inspire que du bien, sauf quand la personne pense qu’elle écrit des livres, comme j’en étais moi-même convaincu, tout fier, tout con.

Je pense qu’il faudrait instaurer un permis d’écriture. D'abord pour le retirer à 80% des auteurs édités qui souillent l’acte d’écrire. La difficulté serait évidemment de désigner les membres du Comité de Salut Public, et surtout leur chef, parce que si tu t'imposes chef, tu sais que le chef d'après va te couper les couilles sur la place publique... Avec le risque aussi de te le faire retirer. Mais je ne me souviens plus du tout de la question !



4- Le numérique, le support d'internet, les liseuses, les ebook, les réseaux sociaux, sont une révolution pour les auteurs et bousculent également le monde de l'édition. Que penses-tu de ce changement ?
Strictement rien. Si ce n’est ce que je viens de te dire. Le message étant le médium comme disait William Shakespeare -pas le journaliste, l'autre-, c'est un combat perdu d'avance. A moins d'adapter le contenu au contenant. Mais c’est un bon questionnement, je crois, et je n'aurais donc que de mauvaises réponses, je préfère répondre aux mauvaises questions, c'est plus dans mes cordes.

Moi, je lis du papier, exclusivement, je dois avoir 4000 livres, je regarde les dos, je pompe leur fluide, et je pense que Facebook, par exemple, dont je peux, j’ai pu, abuser, est une source d’abrutissement collectif inespérée pour le GRAND MECHANT LOUP.


5- Il semble que de plus en plus, les auteurs prennent en charge leur communication, font leur publicité, créent leurs propres réseaux, prolongeant ainsi le travail de l'éditeur de façon significative. Te sers tu toi aussi de ce moyen pour communiquer sur ton travail, annoncer ton actualité, discuter avec tes lecteurs ou d'autres auteurs et ainsi, faire vivre tes livres plus longtemps ?

De moins en moins.

Mais j’ai, ou j'ai eu, une utilisation assez sauvage des réseaux sociaux. Les auteurs devraient en théorie la fermer et se faire payer rubis sur l’ongle pour chaque mot projeter sur un support plutôt que d’offrir ça gratos à Mark Zuckerberg, et à leur éditeur, et à leurs lecteurs. La rareté fait le prix. C’est en théorie le job de l’éditeur dans le vieux monde de la graphosphère en perdition.

En pratique, coucher est sûrement plus rentable que Facebook et Instagram. Il faudrait sucer des éditeurs, se taper des éditrices, des journalistes, des critiques, des attaché(e)s de presse, des libraires, des distributeurs, d'autres auteurs, Michel-Edouard Leclerc, toute la chaîne du livre. Le réseau tout court fonctionne mieux que le réseau social dans les champs de pouvoir. Ça marche dans tous les milieux et depuis la nuit des temps. Je vais d’ailleurs y penser. Je vais en parler à mon éditeur.


6- On dit qu'en 25 ans, le nombre de livres publiés a été multiplié par deux, leur tirage ayant baissé de moitié pendant cette même période. Comment sortir le bout de sa plume de cette masse de publications ? Être visible ? N'est-ce pas décourageant pour les jeunes auteurs ? Que leur dirais-tu ?

Donc si je comprends bien : 2*2/2 = 1 ? Tant qu'on trimballe autant de livres dans des camions, le modèle économique de l'édition classique fonctionne. Le transport rapporte plus que la lecture, je suppose.

Ce que je me dis est simple : si tu es bon, continue, si tu es convaincu de pouvoir écrire un jour un grand livre, continue, tu as sûrement tort mais continue, sinon, va ramasser des trompettes de la mort, fais des gosses, écoute Chopin, participe à l’apocalypse ou si tu n'as plus le goût, attends qu’elle te cueille, pas maintenant, demain. Donc, je dirais ça, mais je ne suis pas certain d’avoir la légitimité, la crédibilité. Tu devrais plutôt poser la question à Céline. Ou à Dostoïevski, je ne sais pas. Quelqu’un de légitime à.


7- Les relations entre un éditeur, ou un directeur de collection, et un auteur, pourraient faire l'objet d'une psychanalyse, me disait un écrivain, récemment. Qu'en penses-tu ? Comment analyserais-tu cette relation que tu entretiens avec eux.

Je ne l’analyse pas, je le vis. Je pense donc comme mon éditeur, Pierre Fourniaud : « les éditeurs sont des garagistes ». Et je n’en ai eu qu’un. Je l'aime (je t’aime !). Je suis fidèle. L'amour est plus précieux que le mariage. Et si je suis infidèle, en plus, il ne m'aimera plus, c'est une jalouse, complètement barrée. Je veux qu'il m'aime et qu'il n'aime que moi. Je veux être le premier et l'unique. Je crois en la pureté et en l'éternité de l'émotion amoureuse.

8- J'ai pensé longtemps, et ma bibliothèque s'en ressentait, que le noir, le polar, était une affaire de mecs. Les coups durs, la débine et la débauche, les gangsters, la baston, les armes, les crimes et la violence en général… une histoire de bonshommes. Aujourd'hui, les femmes sont de plus en plus présentes dans l'univers du polar. Grâce au Trophée, j'ai pu me rendre compte qu'il y avait de nombreux auteurs femmes dans ce genre. Ce n'était pas le cas il y a quelques décennies.
Quelles réflexions cela t'inspire-t-il ? À quoi cela est il dû, selon toi ? En lis-tu et, si oui, Lesquelles ?

Ça vient du fait qu’avant, elles faisaient le ménage, n’avaient pas l’autorité parentale, ni le droit de vote, et que les soirées Plug anal étaient encore des soirées Tupperware.

Tu me diras, c'est toujours le cas d'une grande majorité de femmes, de par le monde et ici, en France, il suffit de regarder les statistiques des "heures domestiques".

Je pense donc que c’est une formidable avancée des droits humains, la critique se faisant des stupidités essentialistes. Je ne crois fondamentalement pas à la césure homme/femme du quotidien, je révoquerais si je le pouvais le concept d'individu tout court. Même si j'ai l'intuition qu'elles ont été dominées culturellement et socialement pendant deux millénaires chez nous parce qu'au commencement, elles avaient un pouvoir social incommensurable, lié à leur faculté sexuelle génétique et à leur maîtrise de la fécondité et donc de la création.

Je suis convaincu que Dieu est une invention masculine. Les couples binaires de la pensée reposeraient donc sur un mensonge civilisationnel.

La femme est du côté de Dieu, c'est une évidence, du haut, du blanc, de la pureté, à droite, du sacré. Le sang est pur. L'homme est profane, et vil. Mais je ne sais pas si le matériau anthropologique existe ou existera pour prouver tout ça. Regarde : si Totem et tabou est un roman sublime et magique (j'aimerais d'ailleurs bien savoir si Crews ne l'a pas lu juste avant d'écrire Le chanteur de Gospel, parce que les commandements du totémisme, la prohibition de tuer le totem et celle d'épouser une femme appartenant au totem, sont le cœur du livre), c'est un vrai fiasco intellectuel.

Basiquement, je lis quasi exclusivement du roman américain écrit par des hommes en quantité désormais hypothétique. A l’avenir, je jure de participer pleinement à l’émancipation de toute la race humaine. Je vais enfin lire une femme, jeune, française, qui a écrit un roman noir ! Je vais me lancer même si je suis sincèrement effrayé par le sacré. Et pas une Belge. Je subis une forme de distance intuitive avec la Belgique. Je n’aime pas les Belges. Sauf une, la plus belle, la plus drôle et la plus intelligente, avec un prénom si populaire et historiquement si sublime et littéraire.


9- Pourquoi as-tu accepté de participer à ce Trophée ?

Parce qu’Éric Maravélias me l’a demandé. Je le connais peu, il a une voix douce. C'étaient des raisons suffisantes pour dire oui.


LES QUESTIONS DE MME LOULOUTE.

1- Vie professionnelle, vie de famille, salons et dédicaces, à l'écriture reste-t-il une place ?

 

Oui, la nuit.

2- A-t-on encore les idées claires, quand tous nos héros broient du noir ?

Quand j’écris ? C’est une lumière blanche qui irradie pleinement. Quand je relis, c’est moins plein et moins clair. Alors je réécris.
3- La rentrée littéraire approche. Un livre, ça va, 560, où est-ce qu'on va ?

Faut pas poser des questions avec « où » ! On a un gimmick familial chez nous, vulgaire, enfantin, stupide. Fraternel. DT… Je ne peux pas répondre… !



4- Le dicton du jour : À la saint Grégoire, sort un livre de ton placard. Je t'écoute.

Faut que je finisse un Crews. « La malédiction du gitan ». Le dernier lu était « Les portes de l’enfer » mais pas de très haut niveau. Il me reste 80 pages de « Sanctuaire » depuis une éternité aussi… Le plus grand livre que j’ai lu depuis 15 ans est « Des mules et des hommes ». Donc je dirai « Des mules et des hommes ». Mais à la Saint Victor, je sors mes deux exemplaires du « Grand nulle part » du coffre-fort.

5- Boire ou écrire, faut-il choisir ?

Si je suis ivre, il m’est impossible d’écrire. L’écriture sous ivresse, je n’y crois pas une seconde. Si tu es alcoolique, tu peux te lever à 4,5 grammes, boire une bière pour la tremblote et conduire 500 km, et monter jusqu'à 10 grammes en fin de journée, avec de l’alcool dur. Donc, oui, il faut choisir si tu es amateur. Et, évidemment non, pas besoin de choisir, si tu es un professionnel.

6- La littérature est le sel de la vie. Passe moi le poivre.
Je mène une guerre intérieure dont la matrice principale est l'alimentation. Il ne faut pas déconner avec ça. Je suis sous régime hyper-protéiné sans sel. J’ai perdu 9 kilos en 4,5 semaines. Taillefine et jambon blanc, blancs de poulets et œufs brouillés, tout le temps. Le sel est tabou, c'est le squame de Dieu en poudre, et on ne profane pas. J’ai droit au poivre, c'est halal chez moi. Le poivre est beaucoup moins nocif d'un point de vue sanitaire et moral que le sel. Poivre bien et à fond, tu ne crains rien, c'est pour les hommes.

7- Lire aide à vivre. Et écrire ?
 

Mon pygmalion, Mister Smith & Wesson, un type genre Charlie Runkle un lendemain de dimanche rose, dit que lire c’est vivre et je réponds toujours qu’écrire c’est mourir. Je le crois sincèrement. Les parcelles d’intimité périssent une bonne fois pour toute quand on les livre en pâture. C’est l’une des permanences de ce qu’on pourrait appeler l’Art. Et ce n’est donc pas réservé à l’écriture. Voilà, elles disparaissent. Elles périssent. A jamais.


8- Une anecdote à nous narrer, sur un salon, lors d'une dédicace, d'une table ronde, un événement touchant, drôle, étrange… ?

J’ai failli mettre le feu à un porche d’hôtel à Agen J’ai pioncé une journée sur le canapé à l’entrée d’un salon au lieu de signer des livres, vers Nantes. J’ai fermé une péniche, avec mes amis, tard, enfin, elle s'est fermée toute seule, dans ma ville. Sinon, je suis plutôt sage et poli, j'ai reçu une éducation assez traditionnelle, je crois en l'honneur et en la fidélité, on m’a appris a éplucher et manger mes pêches et mes crevettes avec mon couteau et ma fourchette à six ans, et il ne m’arrive pas grand chose en dédicace. Je n’ai aucun don pour le spectacle. Un gars discret, poli, extrêmement professionnel. Je vends, je signe.

Une vieille dame m’a bien dit qu’elle avait détesté mon livre, Les rêves de guerre, et qu’elle n’avait de plus rien compris. Elle a aussi ajouté qu’elle l’avait relu, une force obscure lui imposait de le faire, un goût étrange qui disait reviens-y. Elle en a conclu qu’elle n’avait pas détesté cette fois-ci, mais qu’elle n’avait toujours rien compris. Si j’avais lu à l’époque une très bonne interview d’un grand auteur ricain dans Paris Review, je lui aurais fait une Faulkner et lui aurais conseillé de le relire une troisième fois. Mais on s’en fout un peu.

Sinon, on m’a envoyé une photo de dédicace très punk le lendemain d’une dédicace. Un page d’écriture entre les Sex Pistols et la Belgique. Une mauvaise blague, une excellente analyse du monde, ça dépend du point de vue et comme disait le grand-père Ferdinand, celui-là de Genève, le point de vue crée l’objet. Et on s’en fout aussi.

Ah si, j’ai pénétré dans une librairie en Harley Davidson avec chauffeur chauve et dingo lors du lancement de mon deuxième livre, un rabbin a débarqué car les enfants de l’immeuble étaient réveillés, il y avait un Tyrolien, beaucoup de monde, et un type torse nu et barbu dansait sur un comptoir, je crois, et on a perdu une paire de lunette, et mon éditeur s'est déguisé en moi. C'était peut-être un salon de thé, je ne sais plus. C’est en tout cas la meilleure soirée de lancement de livre des vingt dernières années d'après la branche gay de la communauté juive du Marais. Mais on s’en fout encore.…

Bref, le problème du livre, c’est l’auteur. Le livre devrait se suffire à lui-même. D’autant que les auteurs sont souvent des connards en puissance. Moi le premier.



Nous te remercions d'avoir répondu à nos questions et d'être présent(e) avec nous, pour cette troisième édition du Trophée Anonym'us.











Y'a pas de merci.

vendredi 14 octobre 2016

Nouvelle anonyme N°6- Ballon Rouge








Des semaines que cela dure. Des jours sur le balcon à épier sa fenêtre, à guetter ses apparitions, à scruter le moindre de ses gestes, à capturer dans son viseur la plus intime de ses attitudes. Des nuits à reproduire, agrandir, placarder les tirages de ses portraits sur le mur du fond. Puis à gamberger dans le noir de cette chambre sans chaleur, à s’agiter seul, loin de ce corps convoité. Mais rien n’apaise la tension de sa carcasse qui réclame, exige de s’assouvir. Se repaître. D’elle.

Ce matin, il n’en peut plus. Réveillé avec la nausée, il n’a pas pu s’empêcher de faire ce qu’il pense encore prématuré de faire. Il s’est approché de sa porte-fenêtre. Il ne l’a pas aperçue, elle était sans doute déjà partie. Mais il a découvert le banc, à quelques mètres de la haie qui sépare son jardinet de l’espace vert commun à tous les résidents des Mimosas. Il s’y est assis, a offert au soleil son visage levé en quête vers le ciel. Des enfants jouaient un peu plus loin, il entendait leurs cris et leurs rires, les coups de pied dans le ballon. Il est resté là longtemps, à espérer un signe qui n’est pas venu. Puis, alors que, frustré, il se levait pour partir, l’objet est venu percuter l’arrière de son crâne. Il a vacillé et cru sa dernière heure arrivée. Un éclair rouge a zébré l’espace devant lui et le ballon est allé rouler tout contre sa haie. Si ça, ce n’est pas un signe, s’est-il dit en retrouvant tant bien que mal son équilibre. Déjà les exclamations des garçons venant récupérer leur balle se rapprochaient. Il ne lui restait qu’une courte fenêtre de tir. Il ne pouvait pas tergiverser plus longtemps, faute de quoi son rêve pourrait bien se désagréger pour une maladresse ou une hésitation de trop. Encore tremblant, il bondit vers la sphère rouge arborant le logo noir d’une célèbre marque sportive. Sans plus réfléchir, il s’en empara et, d’un geste vif, la balança par-dessus les lauriers au feuillage dense et luisant. Le cœur au supplice, il risqua un œil à travers une brèche. Il entrevit les deux fenêtres closes, les rideaux tirés. Puis il repartit rapidement dans l’autre sens avant qu’on ne le trouve là à jouer les voyeurs. Deux garçons surgirent, s’interpellant et s’interrogeant. James ricana : les petits cons, ils pouvaient toujours le chercher leur foutu ballon.

Louise préparait le repas du soir en fredonnant les notes qu’égrenait le piano dans la salle de séjour. Une comptine un peu laborieuse qui la faisait grimacer à chaque étourderie.

– Sol ! c’est un sol ! cria-t-elle, tu te trompes chaque fois au même endroit !
 

La petite voix de Blanche protesta. Le piano se tut un instant puis le morceau reprit au début. Louise sourit. Son petit trésor était docile, ce soir. Elle attendit l’expiration de la première mesure, la reprise, la fausse note. Alors, agacée, elle décida la fin de la torture en annonçant le dîner dans dix minutes.

Au moment où Blanche sautait du tabouret pour aller se laver les mains, la sonnette de l’entrée retentit. Louise se figea. Qui pouvait bien débarquer à cette heure tardive ? Elle s’essuya les mains dans son tablier, arrangea machinalement quelques mèches et alla ouvrir, sa fille sur ses talons.

L’homme était grand, svelte, terriblement séduisant. Par-dessus tout, il avait un faux air de Jonathan. C’en était tellement troublant que Louise chancela. Le même âge ou presque, un sourire à dépecer les âmes sensibles ou solitaires, à pulvériser les défenses.
– Bonsoir, dit-il d’une voix aux intonations chaudes, j’espère que je ne vous dérange pas…
Et cette pointe d’accent… Américain ? Anglais ?

Louise attendit la suite, incapable de proférer un son. Sa tête remua de gauche à droite et elle ne put s’empêcher de se demander à quoi elle ressemblait. Mal coiffée, suintant les odeurs de fin de journée et de cuisine, fagotée comme une ménagère…
– Ce matin, j’ai fait une partie de ballon avec les enfants de la résidence, reprit l’homme qui se tortillait les doigts, comme gêné, le ballon est passé par-dessus votre haie…

Blanche s’était rapprochée et restait là, collée aux jupes de sa mère, ses petites mains agrippées à son tablier. Le visiteur du soir lui jeta un regard rapide avant de replonger les yeux dans ceux de Louise qui, bouche entrouverte, ne semblait rien comprendre à rien.
– Le ballon est dans notre jardin ! s’exclama Blanche du haut de ses sept ans, c’est ça que tu dis ? Je vais le chercher !

Le beau brun aux cheveux courts élargit son sourire en penchant la tête de côté. Louise, en plein chaos, sentit sa fille lâcher sa cuisse. Elle entendit la course de ses pieds nus dans le couloir et tressaillit, tel un ruminant émergeant d’une longue sieste.
– Oh ! mais je manque à tous mes devoirs ! s’exclama-t-elle. Entrez donc !
– Je ne veux pas vous déranger ! redit l’homme en faisant néanmoins un pas en avant.
– Mais pas du tout ! Vous habitez ici ?
– Oui, l’immeuble à côté, au numéro 10… Depuis quelques semaines seulement…

« Voilà pourquoi je ne l’avais pas encore remarqué ! » se dit la jeune femme que maintenant son vis-à-vis détaillait sans se gêner. Elle rougit sous ce regard de feu et la peau de ses bras nus s’embrasa. Cette fois, il était passé dans le couloir. À contre-jour, il parut encore plus élancé. Un parfum poivré percuta Louise. Elle bafouilla quelques mots pour cacher le trouble violent qui la collait au sol, frémissante comme un cheval au mors. Mais, déjà, Blanche revenait, le ballon rouge entre les mains. Elle le tendit à leur visiteur qui, pour le saisir, s’accroupit devant elle. Puis avança la main pour une légère caresse sur ses cheveux blonds bouclés. De surprise, la petite recula et l’homme se releva très vite en s’excusant. Louise le trouva touchant, avec un côté timide, tellement attentionné. Elle apprécia sa réaction délicate, bien élevée, quand il déclina son invitation à partager un verre. Tout en la regrettant : il n’allait pas déjà partir ! Puis, elle se mordit la langue pour se faire taire. Quelle idiote ! Cette précipitation qui ressemblait à une tentative de capture allait l’effrayer, c’était couru d’avance ! Et il avait sûrement quelqu’un qui l’attendait, lui, pas comme elle, déserte, en friche. En jachère, plutôt, mais depuis si longtemps.
– Une autre fois, dit-il avec un sourire renversant ! Je sais où vous trouver maintenant !

Et de l’humour, en plus.
– Je m’appelle James, au fait ! lança-t-il en lui serrant la main, avec force et douceur tout à la fois. Au revoir, Louise, au revoir Blanche !
Ça alors ! Il connaissait leurs prénoms ! Un instant interloquée, la jeune femme se rasséréna : leurs deux petits noms étaient inscrits sur la boîte aux lettres, l’interphone et la sonnette ! La preuve que cet homme était vraiment attentif à tout. En le regardant partir, son dos large et ses hanches minces, Louise maudit la femme qui l’attendait en lui souhaitant une mort immédiate et atroce.

James, s’efforçant de marcher avec nonchalance, serra convulsivement le ballon contre lui, le remerciant pour son aide inespérée. Il rejoignit son antre avec des bulles de soleil plein la tête. Il avait vu ce qu’il voulait voir et qui comblait ses espoirs les plus fous. De près, le modèle était plus explosif encore que les clichés dont il allait passer la soirée à se délecter. Dire qu’il était sur un nuage aurait été en dessous de la vérité.
Il n’eut pas à bousculer Louise pour qu’elle chutât dans ses filets. Au premier regard, la messe était dite. Il n’en fut pas surpris : toutes les femmes réagissaient de la même façon à son contact. Il ne poussa donc pas trop les feux, les rites de la séduction obéissant à un rythme propre et la montée du désir de sa victime devant lui permettre de cueillir le fruit à maturité. Mais sans trop attendre non plus. Certaines proies se lassent de trop de tergiversation. Il se débrouilla pour se trouver sur son passage le surlendemain, un samedi. Il avait repéré sa voiture au parking et dégonflé un pneu. Quand il surgit, elle réagit comme à l’apparition du messie égaré dans une cité en flammes. Il fit celui qui n’a pas le temps, mais peut sacrifier une heure pour lui venir en aide. Le sauveur. Le samaritain. Elles aiment toutes ça. Résultat, le soir, il se retrouva sur le canapé de Louise, à l’écouter lui confirmer ce qu’il savait déjà : elle vivait seule avec Blanche. Son mari était mort quatre ans plus tôt dans un accident de voiture. James compatit : lui, avait été largué par sa femme qui n’avait pas voulu quitter Chicago pour le suivre en France. Il était donc libre, en mission pour plusieurs mois dans cette ville de province. Ambassade des États-Unis, top secret, avait-il ajouté, ce qui avait décuplé le désir de Louise. Tout en sirotant son Kir, attendri, il avait écouté Blanche jouer au piano quelques morceaux malhabiles.
Il attendit encore quelques jours avant de passer à l’étape suivante. Un baiser volé alors que Louise cuisinait un tajine d’agneau aux olives, entre deux parties de jeux passionnés avec Blanche. Si la mère n’était pas difficile à apprivoiser, il voyait bien que la fille n’avait pas l’habitude de partager Louise et qu’aucun homme ne venait jamais ici. Tant mieux, appréciait James, qui aimait être le premier partout. Ce soir-là, après deux bouteilles de vin et Blanche mise au lit, James se laissa entrainer dans la chambre de Louise. Il lui fit l’amour gentiment, avec une retenue qui désola la jeune femme. Il prétexta Blanche, dont la proximité le gênait. « Elle dort comme une bûche, protestait Louise qui, affamée depuis trop longtemps, aurait voulu plus de débauche. Elle était maintenant amoureuse, c’était évident.
Emportée dans un tourbillon de sentiments aussi violents que méconnus – même avec son mari, elle n’avait pas ressenti cet emballement des sens et de l’esprit – Louise, bien qu’elle les déplorât, ne vit pas malice aux dérobades de James. Sexuellement, il n’était pas très assidu, mais la mesure semblant faire partie de sa nature, Louise faisait avec. Ensuite, il refusait de l’inviter chez lui, alléguant qu’un appartement de célibataire ne présentait aucun intérêt. Il ne voulait pas davantage dormir chez elle. Il ronflait, il avait perdu l’habitude de partager un lit. Bref, après leurs étreintes, toujours trop sages au goût de Louise, il se rhabillait et s’enfuyait. Elle réussit à le piéger un soir, pourtant, après qu’il se fut laissé aller sur une troisième bouteille de vin. La nuit fut un enfer. Il ne cessa de gigoter, de parler, de gémir. Le matin, elle l’interpella en riant :
– Je ne sais pas ce que te faisait Blanche, cette nuit, mais tu n’as pas cessé de crier son nom ! On aurait dit que tu l’appelais !
 

Et lui de froncer les sourcils. Ah bon ? Puis, comme illuminé dans la douleur, il décréta que, sûrement, il rêvait de sa mère, morte l’année dernière.
– Elle s’appelait Blanche ? s’étonna Louise qui n’obtint pour toute réponse qu’un mouvement irrité des épaules.
– Je croyais que tes parents vivaient dans le Wisconsin ? le relança-t-elle en servant le café, tu ne m’as jamais dit que ta mère…
– Bien sûr que si !
– Non, je m’en souviendrais quand même !
Blanche, encore endolorie de sommeil, était arrivée, avait posé son doudou sur la table, mettant un terme à la dispute. James, en larmes, s’était laissé aller sur l’épaule de la petite venue spontanément s’asseoir sur ses genoux. Il répétait son prénom comme une litanie. Louise en avait été malade toute la journée. À l’heure du dîner, James lui avait apporté des fleurs. Dans un paroxysme de trémolos, trois semaines à peine après leur première rencontre autour d’un ballon, il l’avait demandée en mariage.
La date en fut fixée le soir même. Louise s’empressa d’annoncer la nouvelle à sa meilleure amie qui jugea la décision prématurée. Louise ignora ses réticences comme elle balaya celles de sa mère, installée dans le sud de la France. À vrai dire, James ayant annoncé qu’ils partiraient en voyage de noces dans sa famille américaine, la vieille dame aurait Blanche pour elle toute seule pendant au moins deux semaines. Une aubaine.
Les préparatifs furent engagés tambour battant. Louise s’occupa du mariage – dans l’intimité – et James du voyage. Pour le visa américain, Louise dut lui remettre son passeport qui voisinait dans un tiroir avec celui de Jonathan. James ne put résister à la tentation de regarder à quoi ressemblait le défunt mari de Louise tout en s’attendrissant sur la photo de Blanche, inscrite avec son papa sur son passeport. Louise essuya un début de nostalgie, referma le tiroir comme on tourne une page. Trois ans qu’elle attendait un prince pour remplacer celui qu’elle avait perdu. La vie reprenait, enfin.
Trois jours avant le mariage, James dut s’absenter deux journées entières pour une de ses missions mystérieuses. Quelques heures avant son retour, Louise reçut un message : sa mère avait été victime d’un accident. Les pompiers l’avaient transportée à l’hôpital et son état était jugé suffisamment sérieux pour que sa fille unique dût se déplacer.
« Zut, zut, zut, » ronchonnait Louise au mépris des règles élémentaires de l’amour filial. Elle devait justement lui conduire Blanche au début de la semaine prochaine, cet incident était catastrophique. Elle tempêtait encore quand elle reçut un appel de James. Il était sur la route, dans une heure, même pas, il serait auprès d’elle.
– Ah non ! s’insurgea-t-il quand elle lui raconta l’accident maternel, elle peut pas nous faire ce coup-là ! Tout est prêt, les billets, ton visa, je t’ai préparé plein de surprises !
Louise le tranquillisa. Elle ne ferait qu’un aller-retour, le temps de prendre des dispositions. Est-ce qu’il pouvait s’occuper de Blanche en son absence ? James accepta sans se faire prier. Ce mardi, en fin de soirée, Louise se jeta dans ses bras dès qu’il arriva et fila à la gare prendre un train pour la Côte d’Azur.
 

Depuis la fenêtre de sa chambre, Blanche lui fit signe d’au revoir en agitant son doudou. Louise se demanda pourquoi sa gorge se serrait si fort à cet instant.

En arrivant à Nice, Louise apprit que sa mère n’avait pas survécu. Nul ne put lui fournir la moindre explication quant à ce qui s’était passé. La police ne s’était même pas déplacée et d’après les blessures, la vieille dame était tombée dans les escaliers trop raides de sa maison. Anéantie, Louise en informa James qui compatit et la rassura : il resterait avec Blanche aussi longtemps qu’il faudrait. Les démarches – obsèques, succession à lancer – prirent trois longues journées que Louise n’eut pas le temps de voir passer. Elle s’inquiéta bien un peu, à partir du deuxième jour, de ne plus avoir de nouvelles de James, ni de réponse à ses messages. Bien que les surprises ne fussent pas le genre de son fiancé, il était bien capable de lui en réserver une.

Comme par exemple, d’effectuer des démarches pour que Blanche les accompagne en Amérique. Mais bien sûr ! James se dépêchait de tout orchestrer ! Aussi, dès qu’elle le put, Louise sauta dans le train du retour, pressée de retrouver ses deux amours, convaincue qu’ils seraient à la gare, à l’attendre.

Le quai était vide et quand elle entra la clef dans la serrure de sa porte, elle ressentit une angoisse aussi poignante qu’irrationnelle qui lui ouvrit la poitrine en deux. Tout était noir, pas de dîner en vue, pas de Blanche pour lui sauter au cou. Louise fit le tour des lieux. Il lui sembla qu’une éternité s’était écoulée depuis son départ bien que tout lui parût dans le même état. Jusqu’au doudou de Blanche, abandonné sur le coin de la table de la cuisine. Aveuglée par le stress qui lui fermait toutes les voies d’une compréhension raisonnée de la situation, elle composa le numéro de James. Cette fois, la messagerie était carrément saturée. Elle se précipita dans l’immeuble voisin, au numéro 10. Forcément, était-elle bête, ils étaient là-bas, chez lui ! Mais comment s’y prendre, elle ne savait même pas où chercher ! Elle sonna chez les voisins, les siens et ceux de cet homme qu’elle avait chéri si fort. Personne ne put rien lui dire d’intelligent.

À minuit, elle dut se rendre à l’évidence. Hébétée, elle appela le commissariat de police qui lui demanda de se déplacer. À un officier de permanence blasé elle raconta son histoire qu’il jugea à dormir debout. Il enregistra une mention de main courante et l’envoya se coucher. Le lendemain, elle retourna à la charge et, en pleine crise de nerfs, obtint un entretien avec un patron. Ils reprirent ensemble les éléments, un à un. Oui, elle avait bien confié sa fille à cet homme qu’elle ne connaissait pas. James Brown, dites-vous ? Inconnu au bataillon, chère madame. L’Ambassade des États-Unis n’en a jamais entendu parler. Un espion ou quelque chose comme ça ? Ben oui, c’est ce que disent tous ceux qui cachent des secrets honteux, les prédateurs. L’appartement du n° 10 de la résidence des Mimosas était loué à une certaine Marine Clerc, célibataire. Sa famille n’en a plus de nouvelles depuis plus d’un mois. Votre James ne vous en a pas parlé ? Pourquoi ne suis-je pas étonné ? Autre chose ? Ah ! le passeport de votre mari a disparu ? Voilà qui était beaucoup plus embêtant et justifia une diffusion nationale aux frontières. Mais, trois jours étant passés, le faux papa et sa fille étaient sûrement déjà loin, hors d’atteinte.

Pendant les semaines et les mois qui suivirent, on ne peut pas dire que la police ne fit rien. Elle explora largement toutes les pistes qui pouvaient conduire à cet homme fantôme dont les empreintes et l’ADN étaient inconnus, qui aimait trop les enfants ainsi qu’en témoignèrent les dizaines de clichés, films et écrits enflammés que l’on découvrit au domicile de Marine Clerc en compagnie d’indices ne laissant aucun doute sur le sort que cette femme avait subi. Son corps, en revanche, ne fut jamais retrouvé. À Nice, des témoins reconnurent en James Brown l’homme qui était venu voir la mère de Louise, juste avant sa chute malencontreuse dans l’escalier.


Plusieurs affaires sortirent de l’ombre dans plusieurs pays d’Europe qui faisaient état d’un modus operandi identique : un homme bien sous tous rapports séduisait une jeune femme seule, la demandait en mariage et disparaissait avec sa fille, toujours âgée de six ou sept ans. On n’avait jamais retrouvé ni ce spectre mystérieux ni les fillettes.

À l’égal de ses compagnes d’infortune, Louise ne revit jamais ni James ni Blanche.










mardi 11 octobre 2016

Stéphanie Clemente, sous le feu des questions



LES QUESTIONS DU BOSS.



1- N'y a-t-il que du plaisir, dans l'écriture, ou t'est-il déjà arrivé de ressentir une certaine forme de douleur, de souffrance, dans cet exercice ?


  • Adolescente, j’écrivais déjà des textes qui restaient dans mes tiroirs et à cette époque, l’écriture était un juste équilibre entre le besoin d’exprimer un mal être et le plaisir des mots.



2- Qu'est-ce qui te pousse à écrire, finalement ?


  • Je crois que le fait de lire beaucoup depuis mon enfance et certains traits de mon caractère ont fait que j’ai toujours eu envie d’écrire, comme si chercher en permanence à mettre des mots sur tout était nécessaire à mon équilibre.



3- Comme on le constate aujourd'hui, tout le monde écrit ou veut s'y mettre. Sportifs, stars du show biz, présentateurs télé, journalistes, politiques, l'épicier, ta voisine... de plus, des sites proposant des services d'auto-édition pullulent sur le net. Ça t'inspire quoi ?


  • Disons que c’est une façon de rendre l’écriture accessible à tous.Maintenant, est-ce que tout le monde est fait pour écrire, c’est un vaste débat.En tous cas, personne ne force les gens à acheter un livre et il en faut pour tous les goûts...Tout est bon pour développer le goût de la lecture, quelle qu’elle soit, même si on peut s’inquiéter du succès de certaines.



4- Le numérique, le support d'internet, les liseuses, les ebook, les réseaux sociaux, sont une révolution pour les auteurs et bousculent également le monde de l'édition. Que penses-tu de ce changement ?


  • Je pense que c’est un plus, qu’il faut « vivre avec son temps » et promouvoir les livres qui semblent souffrir d’un manque d’intérêt croissant.Adapter la lecture à toutes les générations est une nécessité.



5- Il semble que de plus en plus, les auteurs prennent en charge leur communication, font leur publicité, créent leurs propres réseaux, prolongeant ainsi le travail de l'éditeur de façon significative.Te sers tu toi aussi de ce moyen pour communiquer sur ton travail, annoncer ton actualité, discuter avec tes lecteurs ou d'autres auteurs et ainsi, faire vivre tes livres plus longtemps ?


  • Je pourrai peut-être répondre à cette question dans une prochaine vie, quand je sortirai un bouquin. En attendant, il me semble que chacun devrait exploiter ses compétences et ne pas trop s’éparpiller.Bien sûr, que l’auteur participe à la promotion de ses livres, si cela reste dans le domaine du plaisir et de l’échange avec les lecteurs, c’est bien, mais si cela devient une charge de travail supplémentaire pour lui, c’est une autre histoire.



6- On dit qu'en 25 ans, le nombre de livres publiés a été multiplié par deux, leur tirage ayant baissé de moitié pendant cette même période. Comment sortir le bout de sa plume de cette masse de publications ? Être visible ? N'est-ce pas décourageant pour les jeunes auteurs ? Que leur dirais-tu ?


  • C’est vrai que le monde du livre est devenu une jungle et pour se jeter dedans, il faut être courageux mais « qui ne tente rien n’a rien » et je suppose que les jeunes auteurs qui se lancent le font en connaissance de cause et savent à quoi s’en tenir.



7- Les relations entre un éditeur, ou un directeur de collection, et un auteur, pourraient faire l'objet d'une psychanalyse, me disait un écrivain, récemment. Qu'en penses-tu ? Comment analyserais-tu cette relation que tu entretiens avec eux.


  • Je n’en entretiens pas mais quelque chose me dit que si c’était le cas, rien ne serait facile.

    En tous cas, je suis partante pour lire le compte-rendu d’une psychanalyse de ce genre.

8- J'ai pensé longtemps, et ma bibliothèque s'en ressentait, que le noir, le polar, était une affaire de mecs. Les coups durs, la débine et la débauche, les gangsters, la baston, les armes, les crimes et la violence en général… une histoire de bonshommes. Aujourd'hui, les femmes sont de plus en plus présentes dans l'univers du polar. Grâce au Trophée, j'ai pu me rendre compte qu'il y avait de nombreux auteurs femmes dans ce genre. Ce n'était pas le cas il y a quelques décennies.

Quelles réflexions cela t'inspire-t-il ? À quoi cela est il dû, selon toi ? En lis-tu et, si oui Lesquelles ?


  • Je trouve que c’est une bonne chose et c’est une barrière de plus qui tombe.La violence née de l’imagination créative peut tout aussi bien naître dans un cerveau féminin que masculin.Je connais peu encore le polar féminin mais j’ai lu Sandrine Collette,Maud Mayeras,Muriel Houri et j’ai aimé.



9- Pourquoi as-tu accepté de participer à ce Trophée ?


  • Lorsqu’on m’a parlé de cette aventure, je l’ai trouvée séduisante, tout comme les modalités du concours.Un jury qui sélectionne des textes à l’aveugle, sans à priori,objectivement,en donnant de ce fait les mêmes chances à tous les participants, du plus connu au plus anonyme,c’est un peu moins intimidant je trouve(pour les anonymes).C’est une forme de justice littéraire qui devrait se développer d’ailleurs.



LES QUESTIONS DE MME LOULOUTE.



1- Vie professionnelle, vie de famille, salons et dédicaces, à l'écriture reste-t-il une place ?


  • Pour ma part,on peut déjà enlever les salons et les dédicaces,ce qui me laisse pas mal de temps. Oui, contrairement à la lecture, l’écriture n’est pas un besoin qui s’impose pendant des heures donc j’ai toujours des moments, la plupart du temps spontanés, à lui accorder.



2- A-t-on encore les idées claires, quand tous nos héros broient du noir ?

  • Oui, et même quand ils broient des gens d’ailleurs.


3- La rentrée littéraire approche. Un livre, ça va, 560, où est-ce qu'on va ?

  • Heu...Vers la déforestation...J’ai bon ?


4- Le dicton du jour : À la saint Grégoire, sort un livre de ton placard. Je t'écoute.

  • Le choix est difficile mais puisqu’il le faut, ce sera la suite romanesque d’Henri Troyat« La lumière des Justes », qui m’a transportée, à chaque fois que j’ai plongé dans ses pages.


5- Boire ou écrire, faut-il choisir ?

  • Pourquoi ne pas faire les deux?Il faut juste choisir le bon ordre, avoir conscience de ce qu’on peut faire avec ou sans aucune modération et faire gaffe de ne pas renverser le... le papier sur le verre de vin (à moins que ce soit le contraire?)Hips!



6- La littérature est le sel de la vie. Passe moi le poivre.

  • La musique.



7- Lire aide à vivre. Et écrire ?

  • C’est pareil, ça permet aussi de vivre mieux dans d’autres vies.


8- Une anecdote à nous narrer, sur un salon, lors d'une dédicace, d'une table ronde, un événement touchant, drôle, étrange… ?

  • Pas d’anecdote car pas de salons mais j’ai participé à une sympathique initiative partagée entre amoureux des livres, qui consistait à déposer un bouquin quelque part avec un petit mot à l’intérieur pour expliquer que le but était de le lire puis le faire voyager (dans un magasin, dans un photomaton, au restaurant, chez le coiffeur etc.) .J’ai laissé à cette époque un roman que j’avais beaucoup aimé dans la salle de repos de la maison de retraite où réside ma grand-mère...le lendemain, le livre avait disparu.J’ignore où il se trouve aujourd’hui mais l’idée qu’il voyage encore me séduit.



Nous te remercions d'avoir répondu à nos questions et d'être présent(e) avec nous, pour cette troisième édition du Trophée Anonym'us.



  • Merci aux organisateurs du trophée pour cette belle idée.Pour moi,ce sera forcément une expérience enrichissante.