mardi 31 janvier 2017

David Charlier sous le feu des questions

LES QUESTIONS DU BOSS

1- N'y a-t-il que du plaisir, dans l'écriture, ou t'est-il déjà arrivé de ressentir une certaine forme de douleur, de souffrance, dans cet exercice ?

Il y a heureusement plus de plaisir que de souffrance. Sinon, et à moins d’être masochiste, je ne verrais pas l’intérêt de continuer. Toutefois, oui, tu peux souffrir. Lorsque le virus d’écrire m’a pris réellement, j’ai découvert ces élans de frustration parfois, lorsque tu ne parviens pas à enchainer ou que tu butes sur un détail. Parfois pendant des jours. Pire… La vraie souffrance, je l’ai connue lorsque tu perds un ou deux chapitres complets après une manipulation malheureuse (depuis, je multiplie les sauvegardes ou les copies). Là, je pense qu’il y a une sérieuse phase de deuil à observer après une perte pareille. Et dans un autre registre, j’ai connu comme un « baby-blues » lorsque le mot fin a été inscrit au bout de mon premier texte. Un sentiment de vide soudain, avec l’idée que cette histoire ne m’appartenait déjà plus. Qu’elle prenait son envol. Et cela s’est reproduit souvent.

2- Qu'est-ce qui te pousse à écrire, finalement ?

Tout à fait honnêtement… je n’en sais rien du tout. Depuis l’enfance, j’ai souvent des petits scénarios qui me traversent l’esprit, des films que j’ai regardés mais dont j’aurais noué l’intrigue différemment, j’imagine parfois tel ou tel anonyme croisé dans la rue dans les situations les plus abracadabrantes (ou les plus tordues s’il s’agit de polar). Je crois être arrivé un jour à un trop-plein qu’il a fallu coucher pour de bon sur le papier (ou sur le clavier, soyons modernes et éco-responsables). Et aujourd’hui, j’en ai besoin. Pas un besoin primaire comme manger, boire ou dormir. Mais que je rédige un mail, un rapport professionnel, une nouvelle ou même un texto, j’aime la magie que peuvent dégager quelques mots alignés. Quand je n’écris pas depuis longtemps, je ressens un manque réel. Jusqu’à la frustration.
Dans un autre registre, l’actu ou mon vécu m’inspirent souvent les histoires que je compose. J’y cache ce qui me choque, me fascine ou m’attriste. J’y règle mes comptes parfois, sous couvert de personnages fictifs à l’antipathie bien réelle. Une amie m’a parlé un jour de « punching-ball » littéraire à ce sujet : du petit chef tyrannique à la voisine intrusive, il est facile de tolérer leur comportement, pour peu qu’on les malmène dans une fiction. Et, bon sang que ça fait du bien !

3- Comme on le constate aujourd'hui, tout le monde écrit ou veut s'y mettre. Sportifs, stars du show biz, présentateurs télé, journalistes, politiques, l'épicier, ta voisine... de plus, des sites proposant des services d'auto-édition pullulent sur le net. Ça t'inspire quoi ?

Vaste débat. Il y a deux questions en une ici. D’abord sur l’accès à l’écriture (ou les envies qui y sont associées) à tout un chacun. Et ensuite sur l’auto-édition.

Pour le premier point, autant vendre des bouquins uniquement sur le nom d’une starlette de téléréalité alors qu’elle n’en a pas écrit une ligne m’interroge sur le cerveau qui a pu pondre une idée pareille, autant je soutiens à fond les anonymes qui se laissent tenter. Au fond, personne n’est obligé de chercher à diffuser ses écrits. Les tous premiers que j’ai pu réaliser l’ont été d’abord et surtout pour un seul lecteur : moi. Même aujourd’hui, une poignée de textes planqués au fond de mes dossiers numériques ne sont pas destinés à être diffusés. Ils sont trop intimes pour ça et m’ont servis de catharsis pour mieux comprendre le monde qui m’entourait, m’aider à faire un choix ou soigner mes blessures. Pour cela, oui, bien sûr, que chacun couche sur le papier ce qui le travaille ou le tourmente. De même, c’est mon cas et pour cette raison que j’ai commencé, si écrire est un vrai jeu, dont on se moque de savoir si cela va nous apporter autre chose que du plaisir, et bien : amusez-vous ! Ne vous prenez pas au sérieux et allez-y ! Et si ça marche un jour, tant mieux. S’il s’agit de raconter sa vie dans l’espoir que cela va intéresser les foules, je suis plus dubitatif. A moins d’avoir un destin exceptionnel et hors du commun, je ne suis pas convaincu que cela peut constituer un livre attractif pour une maison d’édition.

Ce qui nous amène au cas de l’auto-édition, pour laquelle je pense que beaucoup d’arnaques sévissent. Dans le cas précédent, celui du livre sur la vie de l’auteur, je pense que ça peut vite tourner au drame. A moins de rester raisonnable et viser la poignée de personnes que cela va vraiment captiver (famille proche, en particulier), investir des fortunes sur des rêves de best-seller est déjà plus risqué. Une part importante de moi refuse de payer pour un service que d’autres offrent gratuitement. Sans parler de l’absence cruelle de services que ces sites ne proposent pas, comme une relecture / correction, un travail graphique pour une couverture, etc… Une poignée fait un travail formidable, je le sais. Plusieurs connaissances y ont eu recours avec succès. Mais ce n’est pas pour moi. Trop peu de garanties sont offertes. Au fond, je préférerai presque jouer la même somme au PMU ou à l’Euromillions. Mes chances de gain seraient probablement plus élevées.

4- Le numérique, le support d'internet, les liseuses, les ebook, les réseaux sociaux, sont une révolution pour les auteurs et bousculent également le monde de l'édition. Que penses-tu de ce changement ?

Le lecteur que je suis trouve que les réseaux sociaux sont un outil devenu indispensable pour les auteurs. Cela les rend plus proche de leur lectorat, tout en permettant des échanges plus variés et plus constructifs sur leur œuvre. Cela permet aussi de se faire connaître. J’ai découvert quelques auteurs par ce biais que je n’aurais probablement jamais lus par ailleurs.

En ce qui concerne les liseuses et autres lectures sur écran, je ne parviens pas à sauter le pas (il faut dire que je ne suis pas super motivé non plus). Il me manquerait trop le grain du papier, son odeur lorsqu’il est un peu vieux, le bruit même que font les pages lorsqu’on les tourne. Et puis, comment faire dédicacer son exemplaire sur tablette lorsque l’on va faire un signe à son auteur préféré sur les salons ?

5- Il semble que de plus en plus, les auteurs prennent en charge leur communication, font leur publicité, créent leurs propres réseaux, prolongeant ainsi le travail de l'éditeur de façon significative. Te sers tu toi aussi de ce moyen pour communiquer sur ton travail, annoncer ton actualité, discuter avec tes lecteurs ou d'autres auteurs et ainsi, faire vivre tes livres plus longtemps ?

A mon modeste niveau, oui. En principe, dans le panel de contacts avec qui nous sommes en interaction sur les réseaux sociaux, se trouvent : des membres de notre famille, des amis proches, des collègues, des connaissances, des membres de nos clubs divers et variés (que ce soit la Confrérie de la Choucroute ou l’Amicale bouliste, tout le monde ou presque a un profil). C’est vrai que c’est toujours assez sympa de partager avec eux ces petits moments où ton texte a été retenu pour tel concours, où ta bobine passe au canard local. C’est vrai également que ça permet des échanges parfois tardifs avec d’autres passionnés sur tel ou tel bouquin qui sort du lot, tel concours au thème suffisamment complexe pour titiller l’imagination.


6- On dit qu'en 25 ans, le nombre de livres publiés a été multiplié par deux, leur tirage ayant baissé de moitié pendant cette même période. Comment sortir le bout de sa plume de cette masse de publications ? Être visible ? N'est-ce pas décourageant pour les jeunes auteurs ? Que leur dirais-tu ?

Là, j’avoue que c’est en effet décourageant. Entre ça et le sentiment que l’on va se faire « croquer » par la vilaine méchante maison d’édition au point de devoir montrer le contrat à son avocat avant signature (pas taper, c’est du second degré !), ce que l’on peut voir comme déconvenues ici et là pour certains auteurs, je dois dire que ça ne fait pas envie. C’est tentant autant qu’effrayant. J’ai ressenti aussi pour certains « micro-succès » une interrogation lancinante du type : « pourquoi moi ? » ou « qu’est-ce que je fous ici ? ». J’ai atteint le paroxysme en la matière lors du tournage d’une émission de télé pour laquelle j’ai été invité, après avoir été retenu pour deux chapitres dans un polar collaboratif. Livre sur lequel d’autres auteurs prestigieux de polars nous ont donné leur avis, les yeux dans les yeux. Si ça m’a énormément amusé, j’ai aussi eu quelques doutes sur la pertinence de ma place parmi eux. « Écrire, c’est s’exposer ». Ou carrément se mettre à nu. Il y a une ambivalence entre ce vœu de préservation de soi et cet espoir d’être lu par un nombre conséquent. C’est cette ambiguïté qu’il faut gérer avant de voir plus loin.

7- Les relations entre un éditeur, ou un directeur de collection, et un auteur, pourraient faire l'objet d'une psychanalyse, me disait un écrivain, récemment. Qu'en penses-tu ? Comment analyserais-tu cette relation que tu entretiens avec eux.

Je ne peux que l’imaginer, n’ayant pas été édité seul. Je les vois comme un couple, quelque part. Si l’alchimie entre eux est là, qu’elle permet des miracles, ils peuvent aller loin ensemble et créer de jolies choses (et ce n’est pas sale, hein ! Je ne parle pas de faire des gosses. Et ce qui se passe en dehors des heures de bureau ne nous regarde pas). Au contraire, et comme dans un couple, s’il règne entre eux une mauvaise communication, de la jalousie ou des soupçons d’infidélité (si l’auteur lorgne un peu trop sur les jolies formes de la maison d’à côté), je ne les vois pas durer ensemble en toute harmonie. Je ne pense pas que l’on soit dans un rapport classique employeur / employé, parce qu’il ne s’agit pas des mêmes liens contractuels. Plutôt dans un partenariat actif, où chacun a besoin de l’autre. Plutôt qu’une psychanalyse, on pourrait un début de polar, tiens. Ça pourrait être la porte ouverte à de sacrées histoires (voir plus avant ce que je disais des « punching-ball » littéraires… ça peut en être aussi l’idée).

8- J'ai pensé longtemps, et ma bibliothèque s'en ressentait, que le noir, le polar, était une affaire de mecs. Les coups durs, la débine et la débauche, les gangsters, la baston, les armes, les crimes et la violence en général… une histoire de bonshommes. Aujourd'hui, les femmes sont de plus en plus présentes dans l'univers du polar. Grâce au Trophée, j'ai pu me rendre compte qu'il y avait de nombreux auteurs femmes dans ce genre. Ce n'était pas le cas il y a quelques décennies.
Quelles réflexions cela t'inspire-t-il ? À quoi cela est il dû, selon toi ? En lis-tu et, si oui, Lesquelles ?

Je dois dire que j’ai été surpris lorsque j’ai commencé un peu à m’intéresser à cet univers. Les auteurs et libraires me disaient très vite que le lecteur de polar est avant tout une lectrice. Cela vaut pour tous les genres, d’ailleurs (on imagine tout de même très mal des mecs lire des livres de la collection Harlequin. Mais il doit s’en cacher. Donnez des noms !). D’aussi loin que je me souvienne, après tout, la plupart de mes potes ne lisaient que l’Equipe et bien peu des bouquins. En ce qui concerne le polar, ma première réflexion était : « m’enfin, quand on lit du Chattam et ses bouts de cadavres explosés sur toute la scène de crime, c’est pas très glamour quand même… ». Puis, je me suis souvenu du physique dudit Chattam… Lien de cause à effet ? Idée de jeu pour patienter dans les files d’attentes pour le rencontrer en salon : calculer le ratio femmes / hommes dans la file, inversement proportionnel à la côte de popularité d’un Président de la République en fin de mandat.
Le physique n’explique pas tout. Les femmes ont, je pense, ce besoin de frissonner, de frémir pour le héros bodybuildé et amoché à la John Mac Lane (ou façon steak tartare), de se laisser guider par les rebondissements d’une enquête.

Normal donc que l’on retrouve des femmes chez les auteurs. Elles apportent un éclairage différent dans leurs livres, plus réfléchis à mon sens. Plus doux et plus centrés sur l’humain aussi. Quand on lit Sophie Loubière dans « A la mesure de nos silences », on se laisse gagner par une émotion qu’un homme aurait beaucoup de peine à générer. Karine Giebel fait partie de ces femmes que je lis avec plaisir. D’une plume terrifiante et oppressante pour « Juste une ombre », elle peut passer à quelque chose de plus doux pour « Satan était un ange ». Fossé générationnel, personnalités sociologiquement incompatibles, caractères et registres de valeurs opposés, imminence de la mort. Elle aborde pour ce dernier des sujets graves avec une poésie touchante.
A l’extrême, se trouve Ingrid Desjours. Une femme adorable, que j’ai connue sur le pilotage du polar collectif dont je parle plus haut. Et une découverte inédite comme auteur. Ses livres vont très loin dans l’horreur, qu’elle soit psychologique ou physique. Ils se savourent comme un bon film d’horreur à la sauce polar. Ou comme un épisode tordu d’Esprits Criminels où les scènes de crime ne sont pas censurées.

9- Pourquoi as-tu accepté de participer à ce Trophée ?

D’abord pour m’amuser. Une amie fan de polars m’en a parlé et m’a proposé de postuler. J’aime les défis en la matière et le concept m’a plu d’emblée. Je profite de l’occasion pour renouveler mon admiration pour les auteurs confirmés qui ont le courage de se mettre en danger pour ce Trophée. Pour le jeu, ensuite. Parce que c’est ce que l’écriture devrait rester : un jeu. Où se lancer en compétition avec d’autres passionnés vaut tous les best-sellers du monde. Et enfin, pour le fun. Moi, je n’ai rien à perdre… comme les autres non-édités. Chiche qu’on parvient à faire trembler les pros ?... (dans un bon esprit, bien entendu).
Une autre motivation est plus géographique : je vis maintenant à quelques encablures du lac d’Annecy. Ravi de participer en voisin.


LES QUESTIONS DE MADAME LOULOUTE

1- Vie professionnelle, vie de famille, salons et dédicaces, à l'écriture reste-t-il une place ?

Oh punaise qu’il en reste peu ! Entre un boulot passionnant mais chronophage (je suis responsable technique dans la gestion immobilière), les kilomètres que j’avale pour lui (environ 50 000 à l’année), un rôle de papa qui va arriver d’ici 3 semaines au moment où j’écris ces lignes (et pour la seconde fois, en plus !), autant dire que j’arrive à l’état de loque bien avancée le soir. Et que je suis tout juste bon à suivre les rebondissements d’une comédie américaine bien grasse (avec pas plus de 5 personnages, sinon c’est mort) ou l’Amour est dans le Pré. Quant à écrire, si l’envie me dévore encore et encore (c’est que le début, d’accord, d’accord), me manque l’énergie et les allumettes pour caler mes paupières.

2- A-t-on encore les idées claires, quand tous nos héros broient du noir ?

Pour y voir clair, ça dépend déjà si j’ai bien envoyé la facture EDF qui traine depuis des semaines sous ce #$@$! De clavier. S’ils nous doivent plus que la lumière, cela se fait à condition de leur avoir confié espèces sonnantes et trébuchantes. Cet obstacle passé, nous reste le courage de relever la barre de nos héros. En rouge et noir, j'exilerai ma peur, j'irai plus haut que ces montagnes de douleur, disait la grande Jeanne. Quand ils broient du noir, à nous de les aider à en sortir. Quitte à faire une intrusion momentanée dans d’autres littératures. Sharko, le flic à moitié dépressif de Franck Thilliez, ça ne lui ferait pas du bien un épisode chez Harlequin ? (qui a dit « dans un bouquin érotique » au fond ? Un peu de décence, tout de même). A réfléchir, tout ça…

3- La rentrée littéraire approche. Un livre, ça va, 560, où est-ce qu'on va ?

Déjà, je ne peux pas tous les lire, ou tous les acheter (surtout si j’en crois mon banquier). Au moins, me dis-je, c’est la garantie pour tous de trouver chaussure à son pied. Tous les secteurs sortent des livres. L’un d’eux, celui de la littérature pour ados, offre un large éventail de titres. Loin de moi de critiquer le contenu ou le supposé intérêt littéraire de ces bouquins. Ce que j’y vois d’essentiel est qu’ils lisent aussi. Et que ces livres sont la clé vers d’autres types de fictions plus tard. C’est difficile toutefois de s’y retrouver, parmi toutes ces sorties, c’est vrai.


4- Le dicton du jour : À la saint Grégoire, sort un livre de ton placard. Je t'écoute.

Allez, un au pif qui me tombe sous les yeux: « Flic, c’est pas du cinoche » de Marc Louboutin. Une série de témoignages sur la réalité du métier de flic, sur deux périodes (années 70-80 et actuelle), comparée à plusieurs poncifs de la fiction télé ou ciné. Un livre que je conseille justement quand on écrit, pour casser quelques idées reçues qui ont la dent dure. Et ne pas les réutiliser dans nos fictions. Au-delà de cela, il apporte un véritable intérêt pour comprendre ce métier difficile. Une fois lu, on ne les voit plus tout à fait de la même manière, ces hommes et ces femmes. Ayant travaillé plusieurs années durant dans des quartiers sensibles, j’étais déjà sensible à ce qu’ils traversaient sur le terrain.

5- Boire ou écrire, faut-il choisir ?

Clairement, oui ! J’ai essayé une fois (pour une dissert’ de philo) les deux en même temps et le résultat n’avait ni queue, ni tête. Ou alors, juste pour rédiger des pastiches ou des histoires très courtes pour sa page Facebook. Histoire de rigoler un peu. Sinon, faut être son propre Sam, pour conduire le clavier comme un chef. Parce que personne ne pourra guider l’histoire que tu as imaginée à ta place.
Une fois arrivé à bon port, par contre, c’est une autre histoire…

6- La littérature est le sel de la vie. Passe moi le poivre.

Le ciné. L’un marche bien avec l’autre et ils s’accompagnent régulièrement pour assaisonner nos vies.

7- Lire aide à vivre. Et écrire ?

Cela m’a souvent aidé pour faire un choix, comprendre un fait ou accepter une situation. Cela m’a toujours enrichi (je ne parle pas d’argent, hein ! Plutôt de connaissances nouvelles lors de périodes de documentation ou du bien-être que cela m’a apporté). Souvent, écrire m’aura aidé à supporter un quotidien professionnel difficile, au cœur des quartiers difficiles dont je parle plus haut. Imaginer des scénarios et des personnages au coucher aura amélioré mon sommeil, alors perturbé par la pression, les risques et les échéances courtes.

8- Une anecdote à nous narrer, sur un salon, lors d'une dédicace, d'une table ronde, un événement touchant, drôle, étrange… ?

Plein, bien sûr. Souvent comme visiteur. Mais les dédicaces les plus touchantes que l’on a pu me demander venaient de ma fille. L’une des demandes les plus perturbantes venait de mon Directeur Général, pour un polar collectif. C’est passé via des intermédiaires, et je dois dire que j’ai réfléchi à plusieurs fois avant d’écrire quoi que ce soit (et surtout, une certaine retenue m’a interdit d’écrire une ou deux âneries dont j’ai le secret). Venant de lui, c’était à la fois flatteur et dérangeant, comme si je ne souhaitais pas mélanger boulot et ce qui s’apparente pour moi à un loisir des plus privés. De toute façon, c’était mort : la chargée de comm’ avait fait un article sur le bouquin dans le journal interne qui avait suivi, provoquant une demande de dédicace de quelques collègues.

Nous te remercions d'avoir répondu à nos questions et d'être présent(e) avec nous, pour cette troisième édition du Trophée Anonym'us.







vendredi 27 janvier 2017

Nouvelle anonyme N°21 : Le parloir





Axel n’écoute pas.
On lui a bien appris pourtant, à ne pas mettre ses coudes sur la table mais ce sont ses bras tout entiers qu’il y pose et sa tête avec. Un œil est fermé par sa joue écrasée, l’autre suit les motifs du papier peint : des oursons coupés en plein milieu par les huisseries dont on a retiré les portes. Axel regarde au-delà des ouvertures béantes, dans ce couloir où les gens avancent sans s’arrêter. Ceux qui le regardent ne le voient même pas et dans quelques secondes ils l’auront probablement déjà oublié.
Axel se tortille sur sa chaise, son ventre le tiraille déjà mais cela n’a rien à voir avec la faim.
Maman ne tardera plus.

Axel se rend au parloir tous les mercredis.
Même s’il connait le chemin par cœur, Michel lui tient inévitablement la main pour le guider jusqu’à la petite pièce aux oursons bleus. Le même homme, qui chaque semaine lui demande son nom. Axel porte celui de son père, VANDAELE, et Michel l’écorche invariablement, comme s’il le faisait exprès.

Le père d’Axel est parti de la maison depuis presque deux ans. Il y a eu cette millième dispute dans le salon, et puis il est entré dans sa chambre et a embrassé son fils sur le front. L’enfant n’a pas grimacé en sentant la barbe dure piquer sa peau, il n’a rien dit et a continué à faire semblant de dormir. Quand la porte a claqué, seulement, il a fondu en larmes.
C’est de la faute de son petit frère, tout ça. Tout ce qui est arrivé, c’était à cause de Barnabé.

Une créature chétive flanquée d’un prénom ridicule, qui avait à peine soupiré en venant au monde ; un garçon maigre et jaune qui semblait laper l’air à grandes goulées dès qu’on l’abandonnait à l’intérieur de son couffin.
Axel avait dès lors considéré son frère comme un fardeau fragile, un boulet de verre encombrant qu’il devrait traîner avec soin jusqu’à ce que la chose soit capable enfin de se débrouiller seule. Il n’avait rapidement plus pu supporter le souffle rauque et embarrassant qui émanait de Barnabé. Cet écho caverneux qui s’extirpait avec peine de ses bronches pleines de poix.

Étrangement, la vieille chatte grise de la maison s’était immédiatement prise d’affection pour le bébé. Dès la première seconde, elle l’avait couvé des yeux et avait roucoulé près du berceau sans relâche. Elle avait léché son front humide, s’était roulée en boule près de lui et n’avait jamais cessé de ronronner au rythme des marées asthmatiques du bébé.
Lorsque Maman fermait la chambre afin de laisser dormir Barnabé, l’animal griffait le bois avec force, ne laissant jamais l’enfant trouver le sommeil. Il se mettait à geindre rapidement et les pleurs incommodaient la chatte qui ne supportait pas qu’on le laisse couiner de la sorte. Elle miaulait, hurlait comme lui, attendait que la porte s’ouvre pour courir le réconforter, l’embrasser, le goûter. Elle ne le quittait jamais, il était chaud, il ronflait comme elle.
Axel observait le cirque depuis sa chambre, cette attention vouée à une petite créature qui n’en valait pas la peine. Quand Axel pleurait on lui tendait juste un mouchoir, lorsqu’il demandait des baisers, on le repoussait. Il était grand maintenant, il n’avait plus besoin de tout cela, pourquoi est-ce qu’il les embêtait ?

Et puis un soir, comme un sort idiot, la voix du père avait fait taire la toux dégoutante du petit frère. Il avait simplement conté une histoire, pour s’occuper peut-être ou bien juste pour couvrir les hoquets monstrueux... et voilà que le second fils s’était endormi immédiatement, sans le moindre ronflement. Le père, ravi, s’était mis à réciter tous les livres de la maison, jusqu’aux notices des appareils ménagers hors d’usage. Et ne trouvant bientôt plus de pages à tourner, il avait commencé à inventer : de nouvelles histoires, de nouvelles sonorités, des musiques jamais entendues, jamais lues. Barnabé s’était nourri jusqu’à l’os de cette voix grave, le père avait raclé ces cordes vocales jusqu’à les rendre plus vibrantes encore, plus tonitruantes. Des nuits durant, l’homme avait laissé courir son imagination et ses mots, déblatérant idioties et chuchotant histoires graves. Il avait parlé et parlé encore, créé princes et pirates, monstres et joyaux, maîtresses et amants, jusqu’à épuisement.
Axel lui, n’avait plus rien obtenu. Juste le droit d’écouter les miettes, depuis son lit. Alors il plissait ses yeux de toutes ses forces pour en avoir autant que possible. Il saisissait des phrases, ou parfois juste le son sourd et monocorde de la voix de son père. Il s’endormait de fatigue, lorsque sa concentration n’en voulait plus.
Et, quand même Barnabé avait cessé d’écouter, le père avait continué. Pour le souffle calme de l’enfant, pour les roulements félins sous sa main, pour ses propres oreilles qui en redemandaient.

La chatte, l’homme et le bébé demeuraient là jusqu’à ce que la nuit soit bien noire et que les oiseaux cessent de chanter derrière les fenêtres. Le père parlait sans s’arrêter, parfois jusqu’à ce que la lumière reparaisse, produisait le même bruit que le vent durant les nuits de tempête, ces vagues rassurantes qui berçaient la chambre. Sa voix réchauffait, ses mains caressaient. Barnabé respirait calmement ; la chatte l’entendait, l’écoutait, et s’endormait alors contre le couffin, lourde comme la pierre.
Sous les yeux d’Axel qui s’accroupissait parfois derrière la porte, le père aussi flanchait, assis sur une chaise grinçante, sa tête basculait en avant, trop lourde, pleine de vide. Il ronronnait lui aussi, se joignant aux deux autres dans un chant étrange de souffles mélangés. Alors les corps bougeaient, secoués de spasmes assoupis. Ils rêvaient en chœur, cauchemardaient de temps en temps pour s’éveiller du même sursaut. Et le cycle recommençait, la voix, les grognements de part et d’autre de la chambre, le calme. Ainsi de suite. Des nuits entières et parfois des journées. Axel sentait la tristesse prendre toute la place dans son estomac. Mais il ne savait pas la hurler. Il avait supplié qu’on s’occupe de lui, mais nul n’avait réagi.
Maman avait laissé faire, elle n’avait jamais pris le temps de s’attendrir sur l’un ou l’autre des enfants. Elle s’affairait aux autres tâches de la maison. Les lessives, les repas, les courses, le ménage. Elle quittait souvent le foyer dans ses vêtements de la veille pour aller acheter du pain, fumer ou prendre l’air, elle prenait souvent son temps. Elle aimait être seule.
Ce matin-là, lorsqu’elle était rentrée du marché, elle avait claqué la porte pour réveiller les fantômes, mais rien n’avait bougé. Axel ne s’était pas fait entendre, alors qu’il était toujours le premier debout.
Arrivée dans la cuisine, une bouteille en verre s’était échappée de l’un des sacs et s’était brisée, du lait s’était répandu sous le réfrigérateur. Par terre, il y avait des boites de conserve et quelques fruits amochés. Des tomates, surtout. Des tomates éclatées, et des pépins qu’il faudrait ramasser un à un.
Maman avait soudain perçu quelque chose. Elle n’aurait pas su l’expliquer, mais le silence était plus fort que jamais. Elle avait fermé les yeux et soupiré. Elle n’avait pas pressé le pas. Elle n’avait même pas jeté un œil dans la chambre d’Axel et s’était dirigée droit vers la chambre du bébé. La porte n’était pas verrouillée, et pourtant, elle avait eu bien du mal à l’ouvrir. Elle n’osait pas. Tétanisée. Derrière, elle avait entendu des chuchotements. Le père ne chuchotait jamais, le père parlait fort, il racontait, il débitait. Il ne murmurait pas.
Elle avait poussé la porte, d’abord regardé son mari endormi sur la chaise les mains jointes sur son ventre. Puis elle avait vu Axel bondir loin du couffin et avait lu dans ses yeux.
Du berceau, elle avait perçu le souffle léger qui s’échappait à intervalles réguliers. Alors, elle s’était demandé pourquoi Axel semblait si inquiet.
Maman avait donc regardé. Le couffin n’avait pas bougé, peut-être oscillé un peu. À l’intérieur, elle avait distingué le crâne et la chevelure éparse et blonde de Barnabé. Puis elle avait vu ce qui n’était pas Barnabé. Les oreilles d’abord, douces et arrondies, puis les pattes aux griffes dissimulées, appuyées contre les parois moelleuses. Elle avait regardé la toison grise et le ventre blanc se gonfler et se vider, affalé sur le visage du bébé.
Elle avait eu envie de vomir d’abord.
De courir aussi, mais elle n’avait pas eu la moindre idée d’où elle aurait pu s’enfuir.
Mais elle était restée là, hébétée, devant cette chatte qui ronronnait sur le bébé, sur Barnabé qui ne respirait plus. Cet enfant chétif et jaunâtre qui avait suffoqué parce qu’on avait pris soin de lui.
Maman avait contemplé le berceau sans jamais chasser le félin. Elle avait imaginé des tas d’issues et laissé filer secondes et minutes. Elle avait attendu que le bébé pâle bouge et pleure, mais il était resté inerte sous la fourrure chaude. Le père avait ouvert les yeux et s’était mis à hurler d’un coup, un long cri sourd et sans fin. On eut dit un animal. Maman avait sursauté. C’est à ce moment qu’elle s’était ruée pour composer le numéro des urgences. Comme si cela en valait encore la peine.

Axel s’était glissé dans le lit de ses parents cette nuit-là, il avait essayé de s’enrouler dans les bras de sa mère, mais elle n’avait pas réagi. Elle l’avait regardé comme un étranger. Pire qu’avant.

Après le départ des ambulances et de la Police, Maman avait tué la vieille chatte grise. Il faisait déjà jour, et le félin ronronnait encore. Elle l’avait saisie délicatement par la peau du cou, l’avait serrée, juste assez pour la soulever sans la faire miauler. Puis elle l’avait fourrée dans un sac de riz vide. La chatte n’avait pas émis le moindre son, couchée au fond du sac, manquant probablement déjà d’air et de place. Axel avait regardé sa mère sortir et s’avancer d’un pas tranquille dans l’allée brumeuse. Elle avait enjambé le parapet puis avait continué jusqu’au fond de la cour, devant le mur qui séparait les deux jardins voisins. Le couple qui habitait derrière était plutôt aimable et discret. Ils n’auraient pas dérangé une fourmi sur un brin d’herbe s’il avait fallu tondre la pelouse. Ils disaient bonjour et au revoir avec le même sourire bonhomme. Et c’est avec ce même sourire qu’ils présenteraient sans nul doute leurs condoléances. Quel terrible événement, nous vous avons préparé une tourte au fromage.

Maman avait levé le sac au-dessus de sa tête. La chatte n’avait pas bougé, elle s’était laissée faire. Elle avait confiance en cette femme qui ne pouvait pas lui faire de mal, elle ne lui en avait jamais fait.
Le sac n’avait tournoyé qu’une seconde, et s’était écrasé contre le mur. Une fois, puis deux, puis dix, et à aucun moment on n’avait entendu le moindre miaulement. La chatte s’était laissée tuer docilement, sans protester.
Maman avait jeté le sac dans le bac à ordures, puis elle était rentrée. Elle s’était lavé les mains avec force, les avait essuyées dans un torchon propre qu’elle avait jeté immédiatement à la poubelle. Puis elle avait allumé la télévision et s’était assise sur le canapé, épuisée. Axel n’avait rien dit. Son cœur avait battu la chamade tout le temps, mais il s’était tu. Aucun mot n’avait bien sonné à l’intérieur de son crâne, aucun n’aurait changé quoi que ce fût.
Il n’avait rien dit.
Mais elle savait tout.

Elle l’avait surpris près du berceau, sa main pas bien large encore posée sur les ronronnements de la vieille chatte, qui caressait pour féliciter. Maman avait vu Axel tuer son frère, et ce bruit presque imperceptible qui s’était échappé de la chambre, elle l’aurait reconnu entre mille, c’est Axel qu’elle avait entendu ricaner.
Mais elle n’avait rien dit. Elle n’avait pas crié, ne l’avait pas puni, ne l’avait pas rassuré non plus. Elle ne lui avait simplement plus adressé le moindre mot.
À l’enterrement de Barnabé, elle s’était tenue loin d’Axel, elle avait toujours gardé deux ou trois personnes entre eux pour ne pas croiser son regard. Axel l’avait cherchée pourtant, il avait tenté de saisir sa main mais elle s’était mollement dérobée et avait disparu dans les bras d’autres gens éplorés qui l’avaient cajolée des heures durant.

Papa était parti quelques semaines après cela. Les parents n’arrêtaient pas de crier l’un contre l’autre, de toute façon. Des reproches ridicules, un plat trop cuit, de l’eau trop froide, de la poussière sous les lits : les disputes faisaient ventre de tout. Le père a quitté la maison en déposant ce seul baiser sur le front d’Axel, sans adieu. Et le silence avait de nouveau envahi la maison, pesant à faire courber le dos de Maman et de son fils.
Elle criait de temps en temps pour que le bruit remplisse les murs, elle ouvrait les fenêtres aussi, mais rien n’y faisait, le silence était toujours là. Parfois la nuit, Axel sentait son ombre, il devinait les mains tremblantes au-dessus de sa tête et de son cou, mais elle ne le touchait jamais.
Au bout d’un mois, elle avait pris le téléphone et composé un numéro à deux chiffres. Elle avait parlé longuement et Axel n’avait pas tout entendu. Simplement que c’était elle, qu’elle avait tué Barnabé, qu’il fallait l’emmener loin de là, sinon elle recommencerait. La Police était arrivée tranquillement, deux agents au crâne rasé qui avaient menotté sa mère et dit à Axel de rester dans sa chambre et d’être un bon garçon. Il était resté. Il avait regardé. Sa mère ne s’était pas défendue et ne l’avait pas embrassé avant de quitter la maison. C’étaient les services sociaux qui étaient venus le chercher. Une grosse femme qui lui avait tendu une sucette. Mais Axel se fichait des friandises, il voulait sa Maman. Juste sa Maman.



Axel vient voir Maman toutes les semaines. Et quand elle entre enfin dans la petite pièce aux oursons bleus et s’assoit face à lui, il se met à sourire. Elle ne dit rien, ne le touche pas. Elle évite de le regarder car tout en lui la révulse. Mais elle est là, il l’a tout entière pour lui, une heure par semaine le mercredi.


mardi 24 janvier 2017

Marie Delabos, sous le feu des questions


LES QUESTIONS DU BOSS

1- N'y a-t-il que du plaisir, dans l'écriture, ou t'est-il déjà arrivé de ressentir une certaine forme de douleur, de souffrance, dans cet exercice ?

La souffrance arrive seulement lorsque, persuadée d’avoir écrit un chapitre génial la veille, je m’aperçois en le relisant que c’est bon à jeter.

2- Qu'est-ce qui te pousse à écrire, finalement ?

Quelque chose qui veut sortir absolument, qui nécessite de prendre une forme concrète, qui donne envie de connaître la suite.

3- Comme on le constate aujourd'hui, tout le monde écrit ou veut s'y mettre. Sportifs, stars du show biz, présentateurs télé, journalistes, politiques, l'épicier, ta voisine... de plus, des sites proposant des services d'auto-édition pullulent sur le net. Ça t'inspire quoi ?

C’est l’heure du DIY ( do it yourself) dans tous les domaines, y compris artistique. Tout le monde s’improvise artiste, écrivain ou musicien, parce qu’on lui permet de le faire. Parce qu’aujourd’hui, les ateliers d’écriture pullulent et qu’on peut faire un livre soi-même sur internet, même gratuitement. Il y a une désacralisation de pas mal de métiers, mais, au fond, ça ne change pas grand chose, si ça permet à chacun de s’exprimer, tant mieux.

4- Le numérique, le support d'internet, les liseuses, les ebook, les réseaux sociaux, sont une révolution pour les auteurs et bousculent également le monde de l'édition. Que penses-tu de ce changement ?

Pour moi, c’est un changement positif, l’important lorsqu’on écrit est d’être lu, peu importe la forme. Je suis pour que l’écriture circule et j’aime bien l’idée que la toute puissance des éditeurs soit remise en question, à condition que les droits des auteurs soient respectés.

5- Il semble que de plus en plus, les auteurs prennent en charge leur communication, font leur publicité, créent leurs propres réseaux, prolongeant ainsi le travail de l'éditeur de façon significative.Te sers tu toi aussi de ce moyen pour communiquer sur ton travail, annoncer ton actualité, discuter avec tes lecteurs ou d'autres auteurs et ainsi, faire vivre tes livres plus longtemps ?

Bien entendu, c’est le seul moyen d’être un peu visible lorsqu’on est pas connu. Cela dit, c’est difficile de trouver l’équilibre entre l’envie d’être lue et le refus de transformer son livre en produit marketing.

6- On dit qu'en 25 ans, le nombre de livres publiés a été multiplié par deux, leur tirage ayant baissé de moitié pendant cette même période. Comment sortir le bout de sa plume de cette masse de publications ? Être visible ? N'est-ce pas décourageant pour les jeunes auteurs ? Que leur dirais-tu ?

Je crois que la part de chance est importante, comme pour toute création, il faut tomber au bon endroit au bon moment, être conscient que, même si le livre est bon, il ne sera peut être pas publié et que, s’il n’est pas bon, il le sera peut être. Donc il faut le tenter, quoiqu’il arrive.

7- Les relations entre un éditeur, ou un directeur de collection, et un auteur, pourraient faire l'objet d'une psychanalyse, me disait un écrivain, récemment. Qu'en penses-tu ? Comment analyserais-tu cette relation que tu entretiens avec eux.

Je manque d’éléments pour répondre à cette question.

8- J'ai pensé longtemps, et ma bibliothèque s'en ressentait, que le noir, le polar, était une affaire de mecs. Les coups durs, la débine et la débauche, les gangsters, la baston, les armes, les crimes et la violence en général… une histoire de bonshommes. Aujourd'hui, les femmes sont de plus en plus présentes dans l'univers du polar. Grâce au Trophée, j'ai pu me rendre compte qu'il y avait de nombreux auteurs femmes dans ce genre. Ce n'était pas le cas il y a quelques décennies.
Quelles réflexions cela t'inspire-t-il ? À quoi cela est il dû, selon toi ? En lis-tu et, si oui, Lesquelles ?

En Angleterre, c’est aussi une affaire de femme depuis longtemps, comme en politique. Peut être parce que les Anglais sont moins attachés aux stéréotypes. Peut être aussi que les femmes écrivaient des polars depuis longtemps, mais qu’on ne les publiait pas. Aujourd’hui, il y a des femmes chefs d’entreprise et des femmes qui écrivent des polars…peut être les mêmes?

9- Pourquoi as-tu accepté de participer à ce Trophée ?

Parce que tu décolles les étiquettes, tu mélanges les boîtes, tu joues au Memory, ça me plaît. Seul le contenu importe, pas l’emballage. Le lecteur goûte, apprécie, se fait sa propre idée sans être parasité par une belle jaquette ou une photo flatteuse. Ca remet des pendules à l’heure. Et je suis joueuse, j’aime les défis.

LES QUESTIONS DE MME LOULOUTE

1- Vie professionnelle, vie de famille, salons et dédicaces, à l'écriture reste-t-il une place ?

Oui, toujours. Elle s’insinue lorsqu’on ne l’attend pas, elle surgit parfois au bout d’un long silence, déclenchée par un mot, une image, un endroit, une odeur. Chez nous, tout le monde écrit, chacun à sa manière, chacun à son rythme, mais toujours curieux du regard de l’autre, de son avis. Un texte peut en entraîner un autre, réveiller une envie de s’y remettre.

2- A-t-on encore les idées claires, quand tous nos héros broient du noir ?

Bien sûr, puisque tout passe dans le personnage. C’est étonnant comme il peut être jubilatoire de transférer son côté obscur dans une fiction, parce qu’on sait qu’on peut en revenir, qu’il n’y aura pas de conséquences, quoique.

3- La rentrée littéraire approche. Un livre, ça va, 560, où est-ce qu'on va ?

Je serai tentée de répondre : au pilon! Mais , au fond, ce n’est pas grave, si ça permet à chaque lecteur d’y trouver son bonheur. Ce qui est plus embêtant, selon moi, c’est que parmi ces 560, beaucoup ne seront pas lus, voire pas vus, étouffés par de plus connus, par de plus promus. Çà, c’est dommage, parce qu’une fois le moment passé, il est trop tard, les livres sont oubliés alors qu’ils auraient pu avoir une chance à un autre moment de l’année.

4- Le dicton du jour : À la saint Grégoire, sort un livre de ton placard. Je t'écoute.

« Extrêmement fort et incroyablement près » de Jonathan Safran Foe. Coup de foudre pour le thème et pour la forme. Traité un peu à la Faulkner dans la liberté du style et le côté immédiat, très instinctif du personnage, qui révèle l’histoire par bribes suggestives. Pour la forme, inattendue, qui fait penser à Apollinaire lorsque le texte se transforme en dessin ou se réduit à l’essentiel jusqu’à laisser quelques pages presque vierges au centre du livre. Et l’histoire bien sûr, qui flotte entre un réel ultra violent et un imaginaire foisonnant.

5- Boire ou écrire, faut-il choisir ?

Non, quoique, en ce qui me concerne, l’alcool n’aide pas.

6- La littérature est le sel de la vie. Passe moi le poivre.

Les couleurs de la musique, ou la musicalité des couleurs, rythmes, lignes, finalement on en sort pas.

7- Lire aide à vivre. Et écrire ?

Peut empêcher de mourir.

8- Une anecdote à nous narrer, sur un salon, lors d'une dédicace, d'une table ronde, un événement touchant, drôle, étrange… ?

Une femme, l’année dernière, qui avait lu « La falaise » avant qu’on se rencontre et dont l’histoire ressemblait à celle du livre, me dit «  Je ne pleure pas, c’est comme ça. Je ne sais pas pleurer, je n’ai jamais pleuré…jusqu’à ce que je lise votre livre. »



Nous te remercions d'avoir répondu à nos questions et d'être présent(e) avec nous, pour cette troisième édition du Trophée Anonym'us.







vendredi 20 janvier 2017

Nouvelle anonyme N°20 - A usage unique


Sandra B. est une putain.

Elle préfère putain à pute, allez savoir pourquoi. Mais elle peut bien choisir ses mots, au fond, ça ne change rien.
Vous la reconnaissez ? On la croise dans la rue, adossée aux voitures, jambe soulevée, cuisse offerte. Fataliste, elle ne guette même plus votre regard derrière le pare-brise. Et malgré son eau de toilette de supermarché, elle a toujours l’impression de puer. Votre gazole, à vous qui ne vous êtes pas arrêté. Ton sperme, à toi qui es déjà reparti.

Claudia F. est la femme de votre vie.
C’est vous qui le dites. En tout cas, vous le pensiez le jour où vous l’avez épousée. Vous l’avez rencontrée à l’aube de vos quarante ans. Vous étiez très épris l’un de l’autre. L’un dans l’autre aussi, pour être honnête. Désir toujours de mise : Claudia F. n’en finissait pas d’avoir envie de vous.
Elle se décrivait comme une femme passionnée, avait fait un nombre considérable d’expériences, des voyages exotiques et une carrière honorable. Belle femme, elle n’avait que le défaut de ses qualités : tout devait se conformer à ses projets. Y compris vous-même, son nouvel époux. Et à l’époque, souvenez-vous, vous n’y voyiez aucun mal, n’éleviez pas d’objections.

Peut-être Sandra B. a-t-elle eu la chance de vous rencontrer alors qu’elle n’avait pas quinze ans ? Elle avait trouvé ce boulot, pour se faire de l’argent de poche après le collège. De toute façon, elle n’aimait pas les cours, arrêterait l’année d’après. Autant se faire du blé, préparer son indépendance. Elle était serveuse dans un bistrot du XXème. Confectionnait des sandwichs derrière le bar. Servait des bières. Vous lui avez tendu un billet. C’était la première fois qu’elle en voyait de cette couleur et vous lui avez demandé si elle était vierge. Justement, c’était son signe astrologique. La vierge vous a suivi dans l’escalier. Pour préparer son avenir en toute indépendance.

L’objectif de Claudia F. est de faire un ou deux enfants avant qu’il ne soit trop tard. Vous ne vous êtes pas attardé sur la relativité du temps ni sur votre désir de paternité plutôt défaillant. Vous avez vite compris que le projet de Claudia F. allait devenir votre projet à vous aussi.

L’avenir de Sandra B. lui a vite coulé dans les veines. La putain est devenue héroïne. Et l’héroïne a façonné la vierge à sa façon. Souvent, lorsque vous êtes entre ses cuisses, vous n’êtes pas convaincu qu’elle en soit consciente. Pour cette raison sans doute, avez-vous usé d’autres pratiques… afin qu’elle vous sente au plus profond de sa chair. Le visage de la putain est fracassé, la vierge maculée.
Lorsqu’elle s’est rendue au commissariat — pour une plainte, pas une reddition — ; ils ne l’ont pas écoutée. Ce sont les risques du métier, lui a-t-on répondu.

Claudia F. était la femme de votre vie ! C’est vous-même qui l’affirmiez, avant qu’elle n’accroche ce calendrier dans la salle de bains, à côté du miroir. En vous brossant les dents, vous ne pouvez plus éviter ce long face à face avec cette litanie de journées et ces rangées de mois. Et les cercles rouges dont votre femme a marqué certaines dates.

Pendant ce temps, sur l’écran de votre ordinateur, Sandra B. clignote nonchalamment. Au début, ce n’était que quelques photos, et puis des films. Maintenant elle se webcam seule, pendant qu’elle se came. Studio porno haute techno, téléréalité extrême. La vérité est ailleurs, mais elle reste une putain.

Allons, rappelez-vous, Claudia F. n’en finissait pas d’avoir envie de vous… surtout pendant les jours marqués de rouge. Le reste du calendrier, l’envie restait sagement à l’intérieur, comme pendant les jours de pluie ; on évitait de se mouiller.
Les jours qui n’étaient pas entourés étaient devenus transparents, Claudia F. surgelait votre désir d’un simple regard. Elle lisait un peu, le soir, puis se tournait, éteignait la lumière. Et votre désir était prié de baisser d’intensité, ceci afin de laisser votre femme s’endormir en paix. Votre désir, à l’ère du micro-ondes, on saurait bien le réchauffer plus tard ; Claudia F. ne nourrissait aucune inquiétude à ce sujet. Désormais vous ne pouviez qu’attendre que le rouge revienne, soleil crépusculaire qui réchauffe les corps.
Hélas, ce que Claudia F. ne vous avait pas encore laissé entrevoir, c’était l’existence des jours en noir.

Malheureux, reprenez courage ! Claudia F. est la femme de votre vie. Même les jours en noir, quand elle s’effondre dans vos bras, se liquéfie à gros bouillons en vous annonçant qu’une fois encore, l’espoir d’enfant s’est éparpillé dans la cuvette des toilettes, enfui dans les canalisations, après qu’elle ait tiré la chasse. Les jours noirs sont jours de deuil pendant lesquels Claudia F. porte ses beaux yeux rouges de chagrin sur votre désir : non vraiment, là, ce n’est pas le moment. Et vous rentrez vous-même votre désir inopportun tout au fond de vous, bien sagement à l’intérieur. En attendant qu’elle finisse par rallumer le micro-ondes, ce qui ne prendra tout au plus que deux petites semaines.

Deux petites semaines. Facile à dire quand il s’agit des premiers cycles. Mais l’engrenage se répète inlassablement (c’est justement le principe d’un cycle). Au fil du temps, ces semaines deviennent insupportables. Vous êtes désespéré. Heureusement, la solution existe, à portée de fric. Avant que vous ne remettiez en question le concept selon lequel Claudia F. serait la femme de votre vie, vous vous tournez d’urgence vers Sandra B, unique chance de sauver votre mariage. L’idée n’est pas mauvaise. Inespérée pourriez-vous dire, d’autant plus qu’elle est économique. En faisant vos comptes, vous devez vous rendre à l’évidence : Sandra B. coûte moins cher qu’un divorce.

Étonnamment, il reste encore une chose capable d’intéresser Sandra B.. De la retourner, de l’émouvoir. Quand vous ralentissez devant le pas de sa porte, que vos yeux se posent sur le décolleté qui dégueule ses seins, Sandra B., intriguée, s’interroge.
Seriez-vous celui qui la fera jouir ? Car, Sandra B. est partie à la chasse à l’orgasme. Sans fusil ; elle ne veut pas lui faire de mal, préférerait le capturer vivant. Et sans filet (les bas résille ne comptent pas) : un orgasme, après tout, ce n’est pas un papillon. Enfin, c’est ce qu’elle croit. Dans ce domaine, Sandra B. n’est sûre de rien. Mais elle est prête à tout.

Lorsqu’il vous reste un peu de temps après l’éjaculation, Sandra B. vous écoute vous répandre. Bien sûr, vous commencez en rappelant à quel point Claudia F. est décidément la femme de votre vie. Pendant que la putain se rhabille lentement et agrafe avec précision ses dessous bon marché, vous hochez la tête pensivement. Alors vous racontez aussi les cercles sur le calendrier. Sandra B. tourne la tête. Elle se souvient de chacun de ses avortements. Des accidents vite aspirés de son utérus comme si de rien n’était, mais qui lui laissaient à chaque fois des cicatrices dans la tête, des boursouflures à l’âme. Elle se lève, va fouiller au fond de la poubelle pour vérifier l’état du préservatif. Pas d’accident cette fois-ci, non. À l’hôpital aussi, on lui avait dit : « Ce sont les risques du métier ».

Claudia F. est malheureuse et ne vous rend plus heureux. Vous ne lui en voulez pas, non vraiment, vous comprenez. Mais peu à peu, les chaleurs intenses des jours en rouge s’amenuisent et ne parviennent plus à faire fondre les dunes glaciales de vos draps de coton. Le micro-ondes ne suffit plus. Les mois ont passé, l’espoir d’enfant vacille et la belle Claudia F. se résigne à n’avoir pas su maîtriser l’assaut de vos spermatozoïdes sur ses ovules. La frustration et l’échec la rongent. Elle vous accuse d’être stérile, bon à rien et finit par vous détester.

Sandra B. ne vous aime pas, mais ne vous déteste pas non plus. Après l’exercice sexuel, vous monologuez encore. Son corps vous est devenu familier, vous lui trouvez même des ressemblances étranges avec celle qui fut un jour la femme de votre vie. Et comme, malgré tout, vous n’êtes qu’un homme, vous finissez par confondre l’intimité des corps avec l’intimité tout court : vous vous imaginez qu’elle vous aime un peu mieux que les autres, sans vous attarder sur l’idée qu’il y en a peut-être d’autres, des bavards, qui reviennent chaque semaine. Vous préférez penser qu’ils ne sont que des clients d’un soir.

Sandra B. ne vous a pourtant rien demandé, c’est vous-même qui avez pensé un jour à lui offrir ce cadeau soigneusement emballé. Un petit trois-fois-rien qui s’est transformé en bijoux, parfums de luxe et escapades romantiques. Vous plissiez les yeux et dans le flou de votre rétine, le rire de Sandra B., son haussement d’épaules et la façon qu’elle avait d’attacher ses cheveux blonds vous rappelaient Claudia F. en d’autres temps. Au fond, vous n’avez jamais cessé d’en être amoureux et cette histoire n’est en réalité que l’aveu de cet amour frustré. Claudia F. ou Sandra B., aujourd’hui il y a deux femmes de votre vie.

C’est arrivé un soir, alors que vous sortiez d’un restaurant au décor feutré et à la gastronomie raffinée. Sandra B. vous accompagnait et vous lui avez proposé de prolonger la soirée par une balade au bord du canal. L’idée paraissait sans risque a priori ; vous vous trouviez très loin de votre gentil pavillon de banlieue. Vous aviez juste oublié le dîner mensuel « entre copines » de Claudia F., qui l’avait menée ce soir-là dans une brasserie parisienne, juste à l’angle du canal où vous aviez décidé de vous promener. Votre femme rentrait seule, se hâtait vers sa voiture en fouillant dans son sac à la recherche de ses clés. Elle aurait pu passer sans même vous apercevoir. Mais finalement non. Claudia F. a stoppé net et soudain, ses yeux d’ambre ont plongé dans le regard vide de Sandra B.. À ce moment-là, vous avez vivement ressenti votre totale transparence, et très vite, vous avez vraiment souhaité demeurer transparent. Mais la scène que vous appréhendiez dans vos pires cauchemars se déroula tout à fait autrement. Claudia F. avait analysé la situation plus vite que vous ne l’auriez imaginé. Avant que vous n’ayez bredouillé vos premières tentatives de mensonges, elle tendait déjà la main, la posait sur le ventre de Sandra B.et le visage de la putain affichait un sourire étrange que vous ne lui connaissiez pas. À la réflexion, vous ne l’aviez jamais vue sourire d’ailleurs, de quelque façon que ce soit. Mais ce soir-là, ses lèvres découvraient des crocs de louve affamée.

Vous n’avez pas eu votre mot à dire. La transparence avait éteint votre voix avant qu’elle vous sorte du gosier. Claudia F. a pris Sandra B. par le bras et l’a guidée vers sa voiture. Vous avez dû abandonner votre propre véhicule, stationné plus loin, pour embarquer avec elles dans la berline de votre épouse. Sur la route comme depuis la rencontre, aucune parole, juste des regards qui détaillaient l’autre dans la lumière fugace des réverbères, et une tension grandissante qui aiguisait vos nerfs. Vous connaissiez le trajet : Claudia F. rentrait à la maison.

À peine arrivée, votre femme se débarrasse de son manteau et de son sac en les laissant par terre, en plein milieu du couloir. Sandra B. l’imite et vous renoncez à ramasser leurs affaires, pour les suivre dans le salon où Claudia se sert un verre de whisky qu’elle avale d’un trait avant de le remplir à nouveau pour l’offrir à Sandra. La putain accepte, vide le verre en renversant la tête en arrière et envoie valser ses escarpins à l’autre bout de la pièce. Claudia ne la quitte pas des yeux. Elle lui attrape la main et l’entraîne à l’étage, vers votre chambre. Seul au milieu du salon, vous hésitez — pas longtemps — avant de les rejoindre. La tension a fini par exploser en excitation brutale. Cette soirée surpasse de loin vos fantasmes et vous commencez à vous déshabiller en gravissant les marches, avant de retrouver les deux femmes de votre vie à demi nues sur votre lit. Vous vous joignez à elles, enfin vous essayez. Mais vous n’étiez pas réellement invité et elles vous laissent là, sur le bord du lit, le sexe dressé. Ce n’est pas votre sexe qu’elles veulent. Ce sont leurs seins, leurs cuisses, leurs fesses, la fente humide et chaude de leur chatte. Elles se lèchent, se mordent, se frottent et s’agrippent pendant que vous vous masturbez clandestinement sur le côté. C’est sûrement ainsi que Claudia veut vous punir. Ou bien Sandra. Vous ne savez plus. Vous sentez juste votre frustration grandissante et l’étau qui étreint votre gorge jusqu’à vous suffoquer. Vous aviez deux femmes dans votre vie, du moins le croyiez-vous avant d’être écrasé sous leur indifférence. Mais vous ne vous laisserez pas faire. Vous laissez la colère enfler, jusqu’à l’orgasme de votre femme. Cet orgasme qui est à vous, qui vous appartient, et qu’elle offre sous vos yeux à la première venue. Alors, vous scrutez le visage de Sandra B., la putain qui n’avait jamais joui. Là, devant vous, elle boit littéralement le plaisir de Claudia, ses gémissements, ses spasmes et la fièvre de ses yeux. Sandra B., tous crocs dehors, n’en finit pas de contempler la jouissance féminine. Elle est excitée comme jamais vous n’avez réussi à l’exciter. Vous vous sentez rejeté, humilié, inconsistant, et votre fureur se libère, explose dans votre gorge en hurlement. À votre tour, vous voulez les punir. Vous cognez sur Sandra, un coup de poing sur la tempe, un deuxième dans les côtes, vous frappez à ne plus pouvoir respirer.

C’est Claudia F. qui vous a interrompu, mais vous n’en avez pas eu conscience. Elle vous a assommé avec la lampe de chevet en albâtre. Lorsque vous vous réveillez, ligoté et bâillonné, vous vous étonnez d’avoir pu bander pendant votre inconscience. Mais le fait est que vous bandez bel et bien, et Sandra vous chevauche sous le regard de Claudia, à genoux à vos côtés, qui se caresse d’une main pendant que l’autre presse le sein de la putain. Vous bandez même comme jamais car vous êtes exactement là ou vous rêviez d’être, pourtant… non, pas comme ça, attaché comme un porc. Mais vous ne pouvez pas empêcher votre queue de se raidir et vous sentez monter à l’intérieur le flot de sperme. Alors seulement, vous percevez le murmure de Claudia qui répète inlassablement « Donne-nous ton sperme, donne-le-nous… » Sa main a lâché le sein de Sandra et est descendue le long de son ventre, entre ses cuisses, tout contre votre pubis et il vous semble sentir le contact de ses doigts sur votre verge qui va et vient à l’intérieur de Sandra. Vous voulez vous retenir, mais la putain se cambre en fermant les yeux, les crocs affleurants entre ses lèvres. Votre sperme jaillit et vous êtes secoué de sanglots violents. Claudia s’est redressée. C’est seulement à cet instant que vous avez aperçu le couteau de cuisine japonais posé sur l’oreiller. Une seconde, un éclair, pas plus, avant qu’elle s’en saisisse et le plonge dans votre ventre. Le sang bouillonnant gicle sur le corps blanc de Sandra. Votre sang. Vous vous répandez sur elle et elle se renverse encore plus, tendue dans un gémissement de tout son être. Réjouissez-vous, vous êtes le premier homme à offrir un orgasme à la putain. Elle jouit, n’en finit plus de jouir, bien après que vous soyez mort à l’intérieur de son vagin. Alors, après un temps infini, elle se détache de votre corps inutile, se laisse tomber sur les draps imbibés, un sourire aux lèvres. « Ce sont les risques du métier », souffle-t-elle dans le creux de votre oreille, déjà déconnectée de toute activité cérébrale. Sandra s’étire, savoure son plaisir et s’abandonne aux mains de Claudia qui la caresse en étalant davantage encore votre sang sur sa peau blanche.

Depuis, votre corps pourrit doucement au fond du canal. Non loin du restaurant où vous avez pris votre dernier repas. Claudia F. a si bien joué son rôle d’épouse abandonnée par un mari à qui elle ne parvenait pas à faire d’enfant, que votre entourage est unanime pour vous trouver indigne et misérable. Personne ne vous regrette vraiment. Sandra B. joue le rôle d’une cousine lointaine que Claudia F. héberge. Elles dorment ensemble dans votre lit. Dans leurs étreintes, elles chuchotent en se rappelant votre sang et votre sperme. Mais ça ne suffit pas. Sandra B. ne jouit plus.

Alors un soir, elle revient avec un autre homme. Un autre vous, en quelque sorte. Vous arrivez de province, à la recherche d’un emploi, avez peu de famille et d’amis, on ne vous recherchera guère. Claudia vous jauge et approuve en silence, avant de vous mener jusqu’à la chambre. Vous n’en revenez pas de votre chance d’avoir croisé Sandra au comptoir du bar de la gare et ne vous attardez pas sur la présence du couteau japonais sur la table de nuit. Sandra vous murmure doucement à l’oreille que vous allez la faire jouir et déjà votre sexe se raidit, avant même qu’elle ne vous touche.

Les mois passent et les hommes aussi. Orgasme après orgasme, le canal se remplit de vos corps vides et dans le ventre de la putain, un enfant grandit, abreuvé de votre sang et de votre sperme. Votre enfant évidemment. À vous tous.
Mais maintenant que Sandra approche de son terme, elle ne ramène plus d’hommes à la maison, c’est Claudia qui a pris la relève. Elle prépare la chambre du bébé et le soir, sort à votre rencontre dans un bar. Elle est peut-être cette femme à qui on a volé son sac et qui vous demande de la raccompagner chez elle, ou celle qui applique soigneusement son rouge à lèvres en vous adressant un clin d’œil dans le miroir du café du coin. C’est si facile. Mère, épouse, putain. Elle est là, dans chacune d’entre nous. Et nous te traquerons sans relâche. Comme à cet instant où je me tiens contre toi. Je glisse ma main jusqu’à ton sexe et me penche pour le prendre dans ma bouche. Tu aimes ça, tu es heureux. Pour le moment.
Et ce soir, tu me feras jouir.

mardi 17 janvier 2017

Gaelle Perrin Guillet sous le feu des questions

LES QUESTIONS DU BOSS


1- N'y a-t-il que du plaisir, dans l'écriture, ou t'est-il déjà arrivé de ressentir une certaine forme de douleur, de souffrance, dans cet exercice ?

Il y a en priorité du plaisir, sinon il faut vite prendre rendez-vous chez le médecin ! Mais parfois oui, il y a de la douleur. Qui peut provenir de différentes choses : un texte qui ne correspond pas sur le papier à ce qu’on a dans la tête. Ou un texte qui sort de tes tripes et que tu as besoin de coucher sur le papier. là, ça peut être pire qu’un accouchement.

2- Qu'est-ce qui te pousse à écrire, finalement ?

Le besoin de raconter des histoires. De m’immerger moi-aussi dans autre chose que mon quotidien. de m’inventer une autre vie en l’écrivant.

3- Comme on le constate aujourd'hui, tout le monde écrit ou veut s'y mettre. Sportifs, stars du show biz, présentateurs télé, journalistes, politiques, l'épicier, ta voisine... de plus, des sites proposant des services d'auto-édition pullulent sur le net. Ça t'inspire quoi ?

ça prouve que la littérature n’est pas morte ! (Bien que dans certains cas, certains l’assassinent en voulant écrire, mais c’est un autre sujet). Mais je déplore aussi cet « amas » de textes qui envahit les rayons (des libraires ou du net). Le lecteur est noyé sous des centaines de sorties chaque mois et il est de plus en plus dur de trouver des productions originales et il devient compliqué aussi pour l’auteur de se démarquer ou tout simplement se faire connaître. C’est à double tranchant.

4- Le numérique, le support d'internet, les liseuses, les ebook, les réseaux sociaux, sont une révolution pour les auteurs et bousculent également le monde de l'édition. Que penses-tu de ce changement ?

Révolution ! Même si je reste très attachée au papier, je trouve que cette diversité est top ! Le numérique ne touche pas le même public que le papier (l’inverse est vrai aussi), on peut mettre plein de livres dans la liseuse quand on part en vacances (ce qui laisse de la place pour les maillots de bains…) et grâce au numérique, les gens qui ont des problèmes de vues ont un accès facilité. Ce qui n’est pas possible avec le papier. Sans parler de tous ces contenus enrichis qui font de la lecture numérique autre chose, plus ludique. J’achète !

5- Il semble que de plus en plus, les auteurs prennent en charge leur communication, font leur publicité, créent leurs propres réseaux, prolongeant ainsi le travail de l'éditeur de façon significative.Te sers tu toi aussi de ce moyen pour communiquer sur ton travail, annoncer ton actualité, discuter avec tes lecteurs ou d'autres auteurs et ainsi, faire vivre tes livres plus longtemps ?

Absolument. Je suis une facebook-addict et cela m’a permis de me faire connaître, de discuter avec des lecteurs et même de connaître certains de mes éditeurs. Les réseaux sociaux, c’est le bien !

6- On dit qu'en 25 ans, le nombre de livres publiés a été multiplié par deux, leur tirage ayant baissé de moitié pendant cette même période. Comment sortir le bout de sa plume de cette masse de publications ? Être visible ? N'est-ce pas décourageant pour les jeunes auteurs ? Que leur dirais-tu ?

J’ai anticipé un peu cette réponse plus haut. Et comme je le disais, il est dur de se faire connaître dans la masse d’auteurs présents. mais c’est le jeu ! Et ça permet aussi de se dépasser, de trouver de nouvelles techniques d’écritures pour se démarquer. C’est un peu un challenge qui n’est pas que désagréable.

7- Les relations entre un éditeur, ou un directeur de collection, et un auteur, pourraient faire l'objet d'une psychanalyse, me disait un écrivain, récemment. Qu'en penses-tu ? Comment analyserais-tu cette relation que tu entretiens avec eux.

C’est un peu sado-maso ! On les aime et on les déteste en même temps ! En tant qu’auteur, j’ai un besoin viscéral de l’oeil de mon éditeur sur mon travail. Il a le recul que je n’ai pas. Et quand parfois, il touche là où ça fait mal, j’ai envie de le coller au mur en lui hurlant dessus. Mais je l’aime quand même !

8- J'ai pensé longtemps, et ma bibliothèque s'en ressentait, que le noir, le polar, était une affaire de mecs. Les coups durs, la débine et la débauche, les gangsters, la baston, les armes, les crimes et la violence en général… une histoire de bonshommes. Aujourd'hui, les femmes sont de plus en plus présentes dans l'univers du polar. Grâce au Trophée, j'ai pu me rendre compte qu'il y avait de nombreux auteurs femmes dans ce genre. Ce n'était pas le cas il y a quelques décennies.
Quelles réflexions cela t'inspire-t-il ? À quoi cela est il dû, selon toi ? En lis-tu et, si oui, Lesquelles ?

La société a changé. Les femmes s’émancipent aussi bien dans leur vie que dans leur corps ou leurs pensées. Elles osent. Et avec brio !
Parfois, elles osent même plus que leurs homologues masculins. je ne saurais dire pourquoi, mais j’aime ça. Nous ne sommes pas des petites choses fragiles (bien que par moment, ce statut de sexe faible me plaise beaucoup !) et ça se ressent dans nos textes. Pourvu que ça dure !

9- Pourquoi as-tu accepté de participer à ce Trophée ?

Parce que je trouve le système de l’anonymat complet séduisant. il n’y a pas d’a priori, personne ne sait (à part Dieu !) qui a écrit quoi. Cela pimente un peu les choses. Et surtout cela permet aux petits jeunes dans le métier de se frotter à de grandes pointures. Sans avoir peur de la comparaison. Et ça, c’est intéressant !

LES QUESTIONS DE MADAME LOULOUTE

1- Vie professionnelle, vie de famille, salons et dédicaces, à l'écriture reste-t-il une place ?

Toujours. C’est viscéral. Pas toujours très simple de tout gérer, c’est parfois du jonglage de haut niveau, mais c’est vital.

2- A-t-on encore les idées claires, quand tous nos héros broient du noir ?

Pas toujours. Certains textes nous atteignent plus profondément quand on les écrit. Et c’est en général ceux qui remuent le plus l’auteur qui sont les meilleurs.

3- La rentrée littéraire approche. Un livre, ça va, 560, où est-ce qu'on va ?

Dans le mur ! mais on va dire qu’il en faut pour tous les goûts… Mais qui va lire tout ça ? Il nous faudrait cent vies !

4- Le dicton du jour : À la saint Grégoire, sort un livre de ton placard. Je t’écoute.

La cicatrice de Bruce Lowery. Mon premier livre de « grand », lu à 13 ans. Et relu mille fois depuis.

5- Boire ou écrire, faut-il choisir ? Tu es sûre qu’on est obligé de choisir ?

Si on invite modération, les deux sont compatibles, non ?

6- La littérature est le sel de la vie. Passe moi le poivre.

L’humour. La déconne. Ne jamais se prendre au sérieux. sinon, on meurt.

7- Lire aide à vivre. Et écrire ?

Ecrire aide à faire vivre. Faire vivre des histoires différentes. réponse pas très originale, je sais. je ferai mieux la prochaine fois !

8- Une anecdote à nous narrer, sur un salon, lors d'une dédicace, d'une table ronde, un événement touchant, drôle, étrange… ?

Lors d’une dédicace, un homme est passé devant moi, les yeux rivés sur la couverture de mon livre (un peu sanglante, je l’admets). regard à la couverture, regard sur moi. Il part, revient. Même manège. Repart, reviens. s’arrête et me regarde fixement en pointant du doigt le bouquin et me dit :
C’est vous qui écrivez ça ?
J’ai dû bafouiller un oui.
Ben vous ne le portez pas sur vous.
Et il est parti. Je ne sais toujours pas comment je dois le prendre !



Nous te remercions d'avoir répondu à nos questions et d'être présent(e) avec nous, pour cette troisième édition du Trophée Anonym'us.