vendredi 24 février 2017

Nouvelle anonyme N25 : Le Pari






MANON

Ce type me gonfle. Avec ses ongles surmanucurés, son sourire de minet (qu’il doit modestement classer entre ceux de Robert Redford et de Clive Owen), sa mèche rebelle de plouc congénital et son autosatisfaction gluante… Des appareils médicaux. « Je fabrique des appareils médicaux, enfin pas moi, mes employés bien sûr ! » Monsieur est à la tête d’une société, ce qu’il ne manque pas de me rappeler toutes les cinq minutes. Et ma SA par-ci, et ma SA par-là. Ambitieux, Derek. Tu parles d’un prénom. Mes copines diraient que ce Derek est un homme exquis. Surtout Candice, qui trouve tous les hommes exquis dès qu’ils roulent en Porsche.
Exquis.
Comme ce cadavre. Oups, ce canard bien sûr, ce cadavre de canard que je dépiaute entre patates purée et légumes al dente. Je deviens pompette. Laure, calme-toi ! Déjà que je n’arrive pas à soutenir le regard de Derek tellement il me semble creux. Alors je me concentre sur mon assiette, découpe mon filet de travers, égare de la purée à côté de l’assiette. Le vin rouge me donne du courage. C’est bien de la faute à Candice et ma clique de copines. Il y a deux semaines, nous sirotions nos apéritifs sur une terrasse, entre ombres et éclats de soleil tranchants de canicule.
Le type, là-bas, le brun, je te parie qu’il roule en Porsche, a lancé Candice en agitant ses boucles blondes.
Soleil et Spritz nous avaient calciné les neurones.
N’importe quoi. C’est le genre à se balader en Jaguar, intérieur cuir, interdit aux chiens à cause des poils.
Je vote pour la Porsche, a confirmé Bérénice.
Julie n’a rien dit, mais elle a acquiescé lorsque Candice m’a proposé :
Celle qui perd doit passer une soirée avec ce gars.
Mais je déteste ce style de mec !
Tu te dégonfles ?
Soleil et Spritz avaient écorné mon discernement, et puis ce type suintait tellement la Jaguar que j’ai parié. Et perdu. Trop conne, Laure, quand elle a bu et frit à la plage.

Derek me sourit de nouveau. Ses yeux verts sont comme deux méduses au fond d’une eau claire : flasques, inconsistants. Je bois encore. Il faut que je modère ma consommation, la honte si je me laisse embrasser par ce play-boy ultragominé. Le mieux serait que je sois malade. Une bonne dégueulée au restaurant… J’aimerais bien voir sa tronche. Le restaurant, c’est lui qui l’a choisi. Les conventions. Primordiales, les conventions, pour un mec de son acabit. Il me l’a dit et répété – il aime se répéter, mauvais point pour un chef d’entreprise. Ouvrir la portière de la voiture (de l’extérieur, pas en se penchant lourdement sur les cuisses de sa passagère pour actionner le levier), proposer son bras pour traverser la rue, aider à enfiler veste ou manteau avant de quitter un établissement public. Les bonnes manières. Du style.
Qu’est-ce que je m’ennuie.
Le restaurant s’appelle La Gondole. Le comble du romantisme. Venise, le soleil à ras les toits, l’eau qui clapote et Derek m’embrasse tandis que l’esquif éventre lentement les flots du canal. Je bois son amour. Le gondolier fredonne ti amo. Jamais je ne me suis sentie aussi transportée par un homme, lequel me prend dans ses bras pour me déposer sur le quai avant de m’emmener au septième ciel.
Au secours !
Vous avez un master en sciences politiques, c’est bien cela ?
Je sursaute. Nous sommes là, à la Gondole, lui tout en noir, genre Nick Cave, moi en bleu. Je fais oui de la tête, la bouche pleine de carottes que je m’empresse d’avaler. J’espère que mon langage corporel ne me trahira pas. Pour sauver les apparences, je me suis inventé un prénom, évidemment (je n’ai pas envie que Derek me colle aux basques), j’ai refusé de lui donner mon numéro de portable (il vient d’expirer, ai-je menti) et me suis inventé un master en sciences politiques alors que j’ai bêtement terminé des études de lettres. Mais cette faculté est considérée comme un repère de fainéants. Si je voulais séduire Derek, je n’avais pas le choix. Ce genre d’homme recherche une femme avec du caractère, de l’ambition, solide et féminine, pas la future pigiste d’un torchon spécialisé dans les chiens écrasés.
Oui. Je vous l’ai dit lors de notre rencontre, vous avez bonne mémoire.
C’est une de mes qualités.
Je suis impatiente de découvrir toutes les autres.
Il tousse, s’essuie les commissures des lèvres à l’aide de sa serviette – qu’est-ce qu’il peut être précieux dans le geste. J’espère ne pas surjouer mon rôle. Je suis impatiente de découvrir toutes les autres. Quelle conne ! Il va me prendre pour une de ces nunuches à dix centimes qui courent le yuppie dans les bars branchés. Sans compter la liste de ses prétendues qualités, qu’il va me dérouler tel un parchemin antique et m’agiter au nez toute la sainte soirée. D’un geste millimétré, presque trop étudié, il avance sa main vers la mienne. Nos doigts se frôlent. Je frémis, pareille à une feuille sous la bruine automnale.
De dégoût.
Je bois pour me donner contenance. Derrière la baie vitrée – so romantic ! minauderait Candice –, gronde le fleuve, mais nous ne l’entendons pas. L’ambiance est feutrée, un piano-bar égrène des standards jazzy. À l’horizon s’étirent les derniers rayons du soleil. Ce Derek est une caricature. Le genre à offrir des roses à la moindre occasion, à préférer le mariage au concubinage, le petit déjeuner au lit plutôt qu’à la cuisine… Oh non… avec les miettes qui adhèrent à vos omoplates et la confiture en auréoles sur le duvet !
Ce matin, au téléphone, Candice m’a dit :
Un homme qui ne couche pas au deuxième rendez-vous est un gentleman, un homme qui ne couche pas au troisième rendez-vous est homosexuel.
Je ne verrai pas ce type une seconde fois, ai-je rétorqué ; j’ai perdu mon pari, d’accord, mais on a bien dit une soirée. Et il est exclu que je couche avec ce bonhomme.
S’il est homo, tu ne risques rien.
Homo. Ça m’arrangerait bien, tiens. À cet instant, Derek replace une mèche rebelle d’un mouvement peu viril. Ou ai-je la berlue ? Je pouffe, m’étrangle. Il me demande si tout va bien.
Homosexuel, dis-je entre mes dents.
Pardon ?
La honte me chauffe les joues. « Le chou de Bruxelles », rectifié-je, en montrant la petite boule verte dans mon assiette. Il rit. « Femme qui rit, à moitié dans ton lit », affirme Candice. Homme qui rit, ça donne quoi ? À notre première rencontre, sur cette maudite terrasse, sous les regards scrutateurs de Candice et ses succubes, Derek m’a proposé une virée en bateau. Pas une gondole, mais avec force Aperols. Ça rime. Ouh, la tête me tourne, mais ce vin est divin, pas comme l’autre, là… Nous avons pédibulé… qu’est-ce que je dis ? Une balade au bord de l’eau, dans mon vin de l’eau, et Derek a dégobillé ses petites phrases accrocheuses de séducteur à mèches platinées. Du grand art. Combien de temps passe-t-il à répéter son rôle ? Un coach, il doit avoir un coach en drague, c’est hyper tendance. Bref, il a fini par me proposer de dîner ce soir à La Gondole, et j’ai pu lever le pouce discrètement en direction de mes pouffes de copines.
La main de Derek sur la mienne, tout à coup. Je sursaute, tente de la retirer, mais il la retient d’une poigne ferme et me fixe en sourire majeur. Mon cœur palpite d’agacement. À l’odeur d’agneau au romarin (Derek adore les côtelettes) se mêle celle, entêtante, ravageuse, d’un parfum pour homme que je ne saurais nommer. « Vous me plaisez beaucoup, Manon. » lâche-t-il, désarmant d’assurance. Je lui rends un sourire contrit. Du coin de l’œil, je lorgne mon sac à main, dans la doublure duquel j’ai planqué la webcam indispensable à ce pari débile. Filmer pour être crue. « Qui nous dit que tu vas vraiment y aller, à ce dîner ? » a ironisé Bérénice. Elles me regardent en direct. Elles doivent s’apercevoir de ma gêne, je les sens ricaner derrière leur écran. Les garces ! Je les entends presque exploser de rire lorsque Derek m’embrasse par-dessus les assiettes. Je ne l’ai pas vu venir. C’est dégoûtant. Je me cabre, porte mon verre à mes lèvres, le vide d’un trait. Tu ne devrais pas boire autant, Laure, tu ne devrais pas. Ce vin a la couleur du rubis. Ou du sang.
Sens dessus dessous, Laure.

DEREK


Manon Lescaut. Manon des sources. Manon, Manon, pada, dada, da… Tu parles d’un prénom. Cette greluche m’exaspère. Elle a le même regard que toutes ces intellos de gauche : idéaliste et buté. Tout en elle sent le dentifrice bon marché, l’insoumission et la révolte par défaut. Le genre à partir en campagne contre le nucléaire ou en croisière pour sauver les bébés phoques, les yeux écarquillés sur l’horizon d’un monde meilleur. Et à vouloir des enfants. Plein de mioches. Des blonds, des bruns, filles et garçons crottés jusqu’au menton à force d’avoir piétiné le jardin – celui qui entoure sa bicoque retapée main avec son mari écolo. Repeuplons la terre et aimons-nous, puisqu’il le faut !
Palais idéal d’une Cendrillon militante et altermondialiste qui n’assume pas : si sa robe bleu acier semble sortie d’une boutique de seconde main, ses escarpins scintillent Louboutin. Parfumée Sonia Rykiel, coiffée Dessange ou un truc branché du genre. Sans doute enculottée de Triumph. Poulette coincée entre révolte et soumission.
Je décline ma galanterie sans grande conviction. Je vois bien que tout est forcé chez elle, de son sourire agacé à sa gestuelle appliquée – même si l’alcool commence à la rendre malhabile – jusqu’à ce vouvoiement d’une désuétude consternante.
Je trouve cette manière tellement charmante, ne trouvez-vous pas, Derek ?
Vous reprendrez bien un peu de vin, chère Manon ?
Volontiers. Vous avez bien choisi, c’est un régal.
Ce vin rouge sang, qu’elle avale en roulant des yeux, cils en battements syncopés, sourires à fossettes… Poulette habituée à ces jeux de séduction dont la plupart des hommes raffolent, Manon se décline en mode traditionnel : tiare de cheveux sombres, yeux verts, lèvres à la pulpe carminée. Roule en Mini Cooper. Incapable de remplir le réservoir sans en mettre la moitié à côté. Laissez-moi faire, en chaque automobiliste sommeille un pompiste. Et un Prince Charmant – un jour nous nous marierons, ma mie, un jour nous nous marierons…
Étonnamment, elle a accepté sans minauder ce repas à la Gondole, où je n’ai nulle habitude. Cruciale, la discrétion. Un client parmi d’autres, accompagné d’une greluche dont personne ne retiendra la moindre fragrance. Une jolie fille parmi des centaines de jolies filles, femmes, dames ou mamies. Personne ne remarque personne, même si le voyeurisme tient boutique en notre société.
Vous fabriquez des appareils médicaux ? me demande-t-elle, alors que je le lui ai déjà dit.
Typique de la femme peu concernée ou un peu bourrée qui ne sait pas comment relancer la discussion. J’acquiesce. Elle insiste.
De quel genre ?
Des balances de précision ultra perfectionnées. Elles vous pèsent des éléments de l’ordre du micro gramme.
Passionnant ! Le marché est vaste, n’est-ce pas ?
Intéressée, la poulette. Ces gauchistes mangent à tous les râteliers… Je lui confirme ma position de leader du marché sur le continent européen, même si la concurrence reste féroce – les vampires du business affûtent leurs canines. Manon sourit. Jolies dents. Je les vois s’éparpiller au sol en une cascade d’émail sanguinolent. Sa bouche vide continue à me sourire, comme celle d’une vieille femme bientôt expirée, et je découpe une côtelette de la pointe de mon couteau, un laguiole méchamment aiguisé, qui détache la chair de l’os avec douceur. Le sang perle. C’est bon, l’agneau rosé. Ne jamais trop le cuire. Sinon il se dessèche et se contracte telle une éponge au soleil. Je porte le morceau en bouche. Fondant. Délicieux.
Manon se tortille en buvant son vin. Dans ses yeux rougeoie le coucher de soleil qui s’épanouit derrière moi. J’ai pensé qu’elle adorerait cette mièvrerie, voilà pourquoi je lui ai proposé de tourner le dos à la salle – entorse aux bonnes mœurs puisque la femme doit toujours l’embrasser du regard. Afin de voir. Et d’être vue.
Nos mains se frôlent. Je m’empresse de retirer la mienne, sans précipitation toutefois, pour réajuster les cols de ma chemise et de mon veston. Les prémices de l’ivresse s’invitent chez Manon. Gestes de plus en plus hésitants, bafouillages, diction tortueuse. Dommage. À vaincre sans combattre, on triomphe sans gloire. Le dicton à la con. Je modère ma consommation pour ne pas me retrouver con, justement. La mécanique est aussi huilée qu’un moteur de Formule 1. Le dessert avalé, je proposerai une prolongation de soirée à cette petite gourde. Elle ne refusera pas un tour en Porsche. Communistes ou libérales, elles ne refusent jamais un tour en Porsche. Griserie de la vitesse, griserie de l’alcool… Dans la nuit, nous nous évanouirons. Le noir. Au commencement, à la fin. Le noir de ces ventres habités de gnomes désarticulés qui envahissent le monde, et claquent les bottes, grimacent ces bouches avides, saignent toutes ces plaies immondes. Le noir de ces mères en deuil dont la progéniture sème le chaos à travers les steppes brûlées, le noir de ces cadavres calcinés suspendus entre ciel et terre, le noir d’un retour à la poussière volcanique dispersée au-delà de l’univers.
J’aime ce noir. Il me va bien. La lumière n’est qu’une illusion d’optique.
Et je lui dis, à cette petite conne de Manon, puisqu’elle n’attend que ça (ou plutôt, m’entends-je dire) : « Vous me plaisez beaucoup, Manon. » Son regard mouillé et lumineux – cette illusion – me raconte l’histoire que nous ne vivrons jamais. Celle du Prince et de la Belle. Autour de nous chuchotent les couverts, marmonnent les assiettes. Une odeur de parfum et de viande se faufile entre les tables. Sous mes doigts, la nappe fait des plis. Je me penche au-dessus de nos plats vides pour embrasser Manon, alors que je n’ai qu’une envie : lui planter ma fourchette dans la main et l’écouter hurler, ou lui arracher un œil avec la cuillère à dessert puis le jeter à travers la salle comme une balle de golf.
Nous trinquons.
Le bord de mon verre se fend et, en le portant à mes lèvres, je m’écorche volontairement la langue pour sentir la douceur métallique du sang dans ma bouche.

APOCALYPSE…


L’ivresse rend faible. Derek le sait, lui qui ne boit quasiment jamais. Seulement pour trinquer avec ces femmes arrogantes et peinturlurées, prêtes à battre des cils des années durant pour se faire engrosser.
Des putes déguisées en mères de famille.
L’ivresse rend faible, et Derek en a profité. À la sortie de la Gondole, Manon titubait dans ce crépuscule aux teintes orangées – relents d’essence et de fin du monde. Elle s’est accrochée à son bras. Lui a demandé de la raccompagner jusqu’à sa voiture, garée à cinq cents mètres.
Mais voyons, Manon, vous ne pouvez pas conduire dans cet état.
Ah, ah, Manon… Laure…
Pardon ?
Oups, rien… Vous avez peut-être raison, pour la conduite.
Installée dans la Porsche de Derek, Manon n’a pas tardé à s’endormir, la tête contre la portière. « Vous feriez mieux de dormir chez moi. » Elle a accepté. En tout bien, tout honneur. Évidemment. La déchirure orange, à l’ouest, faisait comme une blessure dans la nuit. Une lame dans une chair ferme, a pensé Derek en démarrant. Les pneus ont couiné, ce qui a tiré Manon d’un nouveau sommeil.

Umberto Tozzi chante. Ti amo, in sogno, ti amo, in aria. Un truc de fille. Elles aiment toutes ces mièvreries. La chaîne stéréo semble roucouler sur son meuble. En communion avec Manon qui, maintenant étendue sur le lit de Derek, poignets et chevilles menottés aux montants, Christ féminin au bord de l’abîme, gémit. Doucement.
Au premier coup de lame, son hurlement a déchiré le pâle silence de la chambre. D’autres cris ont rythmé d’autres coups, puis le volume de ses plaintes a diminué. Lorsque Derek l’a pénétrée, sang et chair avalant son sexe, des larmes ont remplacé les vocalises. Un filet rouge a rampé hors de sa bouche. Elles se mordent la langue, souvent. Douleur et terreur. Derek a bandé plus fort. Ti amo… nel letto commando io… Il a joui en même temps qu’il l’étranglait de ses belles mains aux ongles soignés. Elle a suffoqué. Craché.
Derek frissonne aux chants de douleur. La lame brille sous la lumière du plafonnier, à l’ampoule vermillon. Tamisée, c’est plus chic. Les putes mères de famille adorent les ambiances de lupanar… Derek lèche le sang séché sur les avant-bras de Manon. Il aime ce goût, cette texture. Sous sa langue, le corps tremble. Bientôt, ce ne sera plus qu’un cadavre découpé et jeté aux renards au fond du parc. Sous les arbres, là où personne ne vient jamais. Voilà à quoi servent les propriétés bourgeoises héritées de grand-papa : charniers et ossuaires.
Un havre de paix.
Ti amo… lo ti amo e chiedo perdono
La sonnerie de son portable interrompt l’extase. Derek décroche. Antony à l’appareil. Un ami.
Je viens aux nouvelles, Derek. Tout va bien. Tu étais à cran, la dernière fois.
Ça va mieux, merci.
Tu es sûr ?
Certain.
Quelques amabilités. Une promesse de se voir bientôt. Le regard de Derek accroche le sac à main de Manon, posé, jeté même près de la tête de lit – il se rappelle très bien l’avoir balancé tandis qu’il traînait le corps de Manon à l’entrée de la chambre. Une odeur de cuir trop neuf. Il s’en débarrassera. Un sac de femmes chez lui pourrait attirer l’attention.
Now


Figée devant l’ordinateur, Candice pleure et suffoque. Incapable de détourner ses yeux de l’écran, comme aimantée par l’horreur à laquelle elle assiste, les ongles incrustés dans le bois de la table, elle pense aux films d’épouvante qu’elle regardait à l’adolescence. Pour se faire peur. Sentir l’adrénaline creuser son lit, tourbillonner en elle.
Ce n’est pas un film.
Bérénice vomit à la cuisine. Julie tente d’appeler la police entre deux hoquets d’effroi. Le choc. L’horreur imprimée au fond de la rétine. Elles ont tout vu, ou presque. Pas les premiers coups. Ensuite. Le sac qui atterrit au bout du lit, la webcam qui change d’angle dans le mouvement. Rouge et noir, sang et lame d’acier.
Il est trop tard. Ou pas. Bérénice ne revient pas de la cuisine. La poitrine tout à coup secouée de spasmes, Candice entend Julie crier au téléphone qu’il faut intervenir, que sa copine est tombée sur un malade mental, que tout est de la faute de cette Porsche de malheur, que l’autre l’a violée et va l’achever, qu’elles ont tout vu, TOUT VU.

Ou presque.

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